LE RONFLEMENT
DANS LA LITTERATURE

Tous les auteurs qui ont décrit le ronflement en ont détaillé à merveille l'aspect acoustique, à l'aide des comparaisons et des métaphores les plus variées.

"il ronflait avec un bruit de tuyau d'orgues, des renaclements prolongés, des ébranlements comiques"
MAUPASSANT - Une aventure parisienne
Mais, à l'écoute pourtant attentive de ces cris de détresse, ronflements et raclements confondus, "Nanon ronflait à ébranler les planchers"
BALZAC –Eugénie Grandet
peu d'entre eux ne paraissent avoir suspecté le drame cardio pulmonaire et l'étouffement dont ils étaient les aveugles observateurs. La plupart des descriptions de ce phénomène ont quelque chose de truculent, voire de joyeux. Rares sont ceux qui, comme Mauriac "Il s'endormait avant elle. Comment attendre le sommeil auprès de ce grand corps dont les ronflements tournaient à l'angoisse ?"
François MAURIAC - Thérèse Duqueyroux
ont établi un lien entre ce phénomène et l'angoisse de l’asphyxie croissante.
Les descriptions les plus pittoresques se rencontrent dans la littérature. Pourtant, ce ne sont pas les plus fidèles, car aucune ne mentionne cet étouffement et cette lutte permanente contre un obstacle invisible au passage de l'air inspiré.

Néanmoins l’observateur attentif peut retrouver en certaines d’entre elles des détails qui rappellent quelques-unes des constatations cliniques les plus actuelles.

L'obésité de Dionysios, tyran d'Héraclie au temps d'Alexandre le Grand, allait de pair avec son ronflement, sa gêne respiratoire nocturne, et ses crises de somnolence diurne. Avec son consentement, son entourage devait interrompre celles-ci en lui enfonçant dans la chair de longues aiguilles qui devaient traverser la graisse jusqu'à atteindre le muscle pour le réveiller.

Cette description de ce qui était déjà un syndrome de Pickwick,  précède de plus de 2000 ans celle qu'en donnera Dickens. Cet auteur a magistralement raconté ces troubles de la vigilance, avec somnolence invincible, chez "Joe le "Gros lard", dans son livre le Journal de Monsieur Pickwick, dont voici quelques passages significatifs :`

"Tout le monde éprouvait une exaltation prodigieuse, excepté le gros garçon, qui dormait au tonnerre du canon aussi profondément que si ç'avait été la chanson habituelle de sa nourrice.

"Lorsque la citadelle fut prise et qu'on servit à dîner, aux assiégeants et aux assiégés, le vieux gentleman s'écria : "Joe ! Joe ! Damné garçon, il est encore endormi ! Soyez assez bon, Monsieur, pour lui pincer la jambe, s'il vous plaît, c'est le seul moyen de le réveiller.

(...)

"Maintenant, Joe, la volaille. Damné garçon, il est encore endormi. Joe ! Joe ! Plusieurs coups de canne administrés sur la tête du dormeur le tirèrent enfin de sa léthargie".

(...)

"- Joe ! Damné garçon ! il est encore endormi !

- Voilà un jeune homme bien extraordinaire, dit Monsieur PICKWICK. Est-ce qu'il est toujours assoupi comme cela ?

- Assoupi ! Il dort toujours. Il fait mes commissions en dormant ; et quand il sert à table, il ronfle.

- Que c'est bizarre ! fit M. PICKWICK.

- Ha ! Bizarre en vérité, reprit le vieux gentleman. Je suis fier de ce garçon. Je ne voudrais m'en séparer à aucun prix, sur mon âme. C'est une curiosité naturelle. Hé ! Joe ! Joe !

(...)

"Joe ! Damné garçon ! il est encore endormi. Joe, aide Tom à mettre les chevaux.

"Les chevaux furent mis ; le cocher monta sur son siège, le gros garçon grimpa à côté de lui ; les adieux furent échangés, et la voiture roula. Au moment où les pickwickiens se retournèrent pour l'apercevoir encore une fois, le soleil couchant jetait une teinte chaleureuse sur le visage de leurs hôtes, et tombait sur le gros garçon : il avait laissé tomber sa tête sur la poitrine, et il était encore endormi !".

Et un peu plus loin : "C'était le soir : MM. PICKWICK, Winkle et Snodgrass étaient allés avec leur joyeux hôte assister à la fête voisine de Muggleton ; Isabelle et Emily se promenaient avec M. Trundle ; la vieille dame sourde s'était endormie dans sa bergère ; le ronflement du gros garçon arrivait, lent et monotone, de la cuisine lointaine". Si on n'a pas baptisé cette affection syndrome de Joe, c'est qu'ainsi la référence à Dickens est plus explicite. Cette description n'est pas exagérée. Elle constitue au contraire le parfait tableau clinique de ces cas, heureusement exceptionnels mais très caractéristiques, où l'asphyxie nocturne est tellement importante, qu'elle met la vie du sujet en danger

Mais la plupart des textes qui évoquent le ronflement ne procèdent pas d'un tel sens clinique. Tantôt celui-ci n'est mentionné que pour exprimer le signe d'un calme et profond sommeil :

" Quelques instants après Constance et César ronflèrent paisiblement" .
BALZAC - Grandeur et décadence de César Birotteau .
 
Tantôt l'aspect désagréable du ronflement est mis en avant pour augmenter la répulsion qu'inspire déjà son auteur. " Une heure plus tard, les trois parents dormaient avec des ronflements inégaux, devant le cadavre glacé dans son éternelle immobilité "
MAUPASSANT - L'héritage.
 

" L'un après l'autre mes convives (...) s'endormirent et le ronflement les accabla, dégoûtant sommeil qui leur raclait les profondeurs du nez."
CELINE - Voyage au bout de la nuit.

Dans la littérature, ce sont toujours les maris qui ronflent, jamais les amants. " …Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s’endormait que le
matin, quand l’aube blanchissait les carreaux !
FLAUBERT –Madame Bovary.
Zola, dans Thérèse Raquin, nous donne de la rhonchopathie chronique dont souffrait Camille une description provoquant plus le dégoût que la pitié : "Le pauvre être, le corps déjeté, montrant sa maigreur, ronflait légèrement; sous le chapeau qui lui couvrait à demi la figure, on apercevait sa bouche ouverte, tordue par le sommeil, faisant une grimace bête ; de petits poils roussâtres, clairsemés sur son menton grêle, salissaient sa chair blafarde, et, comme il avait la tête renversée en arrière, on voyait son cou maigre, ridé, au milieu duquel le nœud de la gorge, saillant et d'un rouge brique, remontait à chaque ronflement. Camille, ainsi vautré, était exaspérant et ignoble". Il arrive ainsi que le ronflement soit interprété comme un signe de puissance : les ogres et les géants ronflent, et c'est vrai qu'il faut une force peu commune pour résister sans en pâtir à l'énorme handicap respiratoire que représente le ronflement.

Parfois, l'accent est mis sur l'étrangeté de celui-ci, sur son origine magique,

"Dans la maison noire, il n’y avait d’autre bruit que les ronflements de Maheu et de la Maheude, roulant à intervalles réguliers, comme des soufflets de forge.             ZOLA - Germinal comme venue du fond des siècles en un grondement d'allure préhistorique parce qu'aux sonorités inhumaines.

D'aucuns, commentant et décrivant ce phénomène, ont même prétendu que ce bruit, parce qu'il était un des apanages de l'homme des cavernes, lui servait à protéger des fauves nocturnes sa compagne endormie et silencieuse !

D'autres enfin, affirmant que les animaux sauvages ne ronflent pas, ont voulu faire de cette nuisance un méfait supplémentaire de la civilisation !.

En tout cas, quelles qu'en soient la truculence ou la méticulosité,

"Escartefigue allume un Ninas, puis il regarde dormir César. César ronfle. Escartefigue siffle. Le dormeur cesse de ronfler.
- Comme il dort, ton père !"
PAGNOL –Marius, I, 1.
aucune de ces descriptions n'insiste sur le ralentissement du rythme et sur les pauses respiratoires qui, très souvent, nous allons le voir, accompagnent le ronflement.

De ces apnées qui, d'un silence de mort, entrecoupent les efforts du ronfleur, aucun auteur ne parle, sauf objectera-t-on peut être, Giraudoux, quand il nous conte l'histoire d'Ondine la sirène, qui, ennuyée de respirer, finit par en mourir. Mais cette apnée fatale, sans doute constitutionnelle et liée à sa nature de sirène, était sûrement d'une autre origine que celle qui nous intéresse, car Giraudoux ne nous dit nulle part que sa sirène ronflait, une fois endormie.

Aucune de ces descriptions de la littérature ne montre donc l’étouffement progressif du ronfleur, coincé entre la profondeur de son sommeil et l'obstacle mou qu'il doit vaincre pour faire passer l'air inspiré entre les muscles avachis de son voile, de son pharynx et de sa langue. Aucune, sauf peut être celle de Dickens, ne décrit l'épuisement physique du ronfleur pendant la journée. Personne n'interprète comme il le faudrait cette espèce de renoncement tragique que représentent ces arrêts respiratoires bien involontaires, qui permettent peut-être en dix à vingt secondes aux muscles inspiratoires surmenés de reprendre quelques forces.

voir

Les travaux sur le Ronflement et le SAOS

du Laboratoire de Recherches ORL de Saint-Antoine

ou

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