Tous les auteurs qui ont décrit le ronflement en ont détaillé à merveille l'aspect acoustique, à l'aide des comparaisons et des métaphores les plus variées.
Néanmoins lobservateur attentif peut retrouver en certaines dentre elles des détails qui rappellent quelques-unes des constatations cliniques les plus actuelles.
L'obésité de Dionysios, tyran d'Héraclie au temps d'Alexandre le Grand, allait de pair avec son ronflement, sa gêne respiratoire nocturne, et ses crises de somnolence diurne. Avec son consentement, son entourage devait interrompre celles-ci en lui enfonçant dans la chair de longues aiguilles qui devaient traverser la graisse jusqu'à atteindre le muscle pour le réveiller.
Cette description de ce qui était déjà un syndrome de Pickwick, précède de plus de 2000 ans celle qu'en donnera Dickens. Cet auteur a magistralement raconté ces troubles de la vigilance, avec somnolence invincible, chez "Joe le "Gros lard", dans son livre le Journal de Monsieur Pickwick, dont voici quelques passages significatifs :`
"Lorsque la citadelle fut prise et qu'on servit à dîner, aux assiégeants et aux assiégés, le vieux gentleman s'écria : "Joe ! Joe ! Damné garçon, il est encore endormi ! Soyez assez bon, Monsieur, pour lui pincer la jambe, s'il vous plaît, c'est le seul moyen de le réveiller.
(...)
"Maintenant, Joe, la volaille. Damné garçon, il est encore endormi. Joe ! Joe ! Plusieurs coups de canne administrés sur la tête du dormeur le tirèrent enfin de sa léthargie".
(...)
"- Joe ! Damné garçon ! il est encore endormi !
- Voilà un jeune homme bien extraordinaire, dit Monsieur PICKWICK. Est-ce qu'il est toujours assoupi comme cela ?
- Assoupi ! Il dort toujours. Il fait mes commissions en dormant ; et quand il sert à table, il ronfle.
- Que c'est bizarre ! fit M. PICKWICK.
- Ha ! Bizarre en vérité, reprit le vieux gentleman. Je suis fier de ce garçon. Je ne voudrais m'en séparer à aucun prix, sur mon âme. C'est une curiosité naturelle. Hé ! Joe ! Joe !
(...)
"Joe ! Damné garçon ! il est encore endormi. Joe, aide Tom à mettre les chevaux.
"Les chevaux furent mis ; le cocher monta sur son siège, le gros garçon grimpa à côté de lui ; les adieux furent échangés, et la voiture roula. Au moment où les pickwickiens se retournèrent pour l'apercevoir encore une fois, le soleil couchant jetait une teinte chaleureuse sur le visage de leurs hôtes, et tombait sur le gros garçon : il avait laissé tomber sa tête sur la poitrine, et il était encore endormi !".
Mais la plupart des textes qui évoquent le ronflement ne procèdent pas d'un tel sens clinique. Tantôt celui-ci n'est mentionné que pour exprimer le signe d'un calme et profond sommeil :
" L'un après l'autre mes convives (...) s'endormirent et le ronflement
les accabla, dégoûtant sommeil qui leur raclait les profondeurs
du nez."
CELINE - Voyage au bout de la nuit.
Parfois, l'accent est mis sur l'étrangeté de celui-ci, sur son origine magique,
D'aucuns, commentant et décrivant ce phénomène, ont même prétendu que ce bruit, parce qu'il était un des apanages de l'homme des cavernes, lui servait à protéger des fauves nocturnes sa compagne endormie et silencieuse !
D'autres enfin, affirmant que les animaux sauvages ne ronflent pas, ont voulu faire de cette nuisance un méfait supplémentaire de la civilisation !.
En tout cas, quelles qu'en soient la truculence ou la méticulosité,
De ces apnées qui, d'un silence de mort, entrecoupent les efforts du ronfleur, aucun auteur ne parle, sauf objectera-t-on peut être, Giraudoux, quand il nous conte l'histoire d'Ondine la sirène, qui, ennuyée de respirer, finit par en mourir. Mais cette apnée fatale, sans doute constitutionnelle et liée à sa nature de sirène, était sûrement d'une autre origine que celle qui nous intéresse, car Giraudoux ne nous dit nulle part que sa sirène ronflait, une fois endormie.
Aucune de ces descriptions de la littérature ne montre donc létouffement progressif du ronfleur, coincé entre la profondeur de son sommeil et l'obstacle mou qu'il doit vaincre pour faire passer l'air inspiré entre les muscles avachis de son voile, de son pharynx et de sa langue. Aucune, sauf peut être celle de Dickens, ne décrit l'épuisement physique du ronfleur pendant la journée. Personne n'interprète comme il le faudrait cette espèce de renoncement tragique que représentent ces arrêts respiratoires bien involontaires, qui permettent peut-être en dix à vingt secondes aux muscles inspiratoires surmenés de reprendre quelques forces.
voir
Les travaux sur le Ronflement et le SAOS
du Laboratoire de Recherches ORL de Saint-Antoine
ou
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