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Histoire du rôle de la France
dans la mise au point industrielle

de l'implant cochléaire multiélectrodes

Pr Chouard

INTRODUCTION

L'histoire de l'implant cochléaire est celle de la contribution des quatre nations, la France, les USA, l’Autriche et l’Australie, qui ont tenu un rôle essentiel dans sa mise au point.

Au cours de ce qui fut parfois une bataille commerciale, le rôle de la France a été souvent occulté, sans doute volontairement et, parfois, avec une mauvaise foi qui aujourd'hui fait sourire, quand elle se traduit dans le vaniteux domaine de l'historique.

Cette francophobie a conduit par exemple, la plupart des auteurs anglo-phones quand ils évoquent ce thème, à citer en premier Volta, sans doute parce qu'il était italien et malgré qu'il n'ait chirurgicalement rien implanté, notamment dans la cochlée. Puis, en second, sont mentionnés C.Eyriès et A. Djourno; mais il est sous-entendu, dans certaines "historical review", que ces deux auteurs n'étaient vraisemblablement pas vraiment français, car il est précisé à leur propos qu'il s'agissait de "two French-Algerian surgeons".

Or la place de la France a été essentielle sur le plan technologique:

Le brevet Bertin,

à partir de 1977,

va conditionner toutes les procédures

utilisées par les autres équipes internationales.

Pour le contourner, elles seront obligés

jusqu'à ce que ce brevet tombe dans le domaine public en 1997.

Depuis cette date, toutes les revendications du brevet français sont appliquées par tous les constructeurs.

C'est donc d'abord l'histoire de l'implant cochléaire français qu'il convient de décrire.

HISTOIRE DE L'IMPLANT COCHLEAIRE FRANCAIS

Au cours de cet exposé, qui ne peut être qu’un résumé, je ne citerai, parmi tous les chercheurs internationaux qui ont participé au devenir de l’implant cochléaire, que ceux dont la contribution a été essentielle.

Cette histoire présente trois périodes :

LES PREMIERS ESSAIS: 1951- 1976

Au début de cette période, l’implant cochléaire n’avait qu’une électrode.

Le premier implant cochléaire a été mis place en 1957 à Paris par Charles Eyriès [6], otologiste et anatomiste parisien, après avoir été conçu et fabriqué par André Djourno, professeur de physique médicale à Paris.

Eyriès eut l'idée de stimuler électriquement l'oreille interne d'un patient atteint de cophose bilatérale par cholestéatome. Djourno, qui étudiait la stimulation des muscles à distance par induction électro-magnétique, lui fabriqua un implant composé d’un couple de bobines, dont l’une d’elles était branchée à une électrode, qu’Eyriés plaça contre une des branches du nerf acoustique.

Les résultats immédiats de cette stimulation mono-électrode furent satisfaisants, mais, après quelques semaines, l'appareil tomba en panne, sans doute parce que son étanchéité était défectueuse. Eyriès et Djourno ont tout de suite pressenti l’intérêt de cette technologie pour prévenir la surdi-mutité.

Cependant les essais ne furent guère poursuivis, car Djourno s'intéressait peu à la stimulation sensorielle.

Lire la publication princeps de Djourno et Eyriès

Dès 1961, William House, otologiste de Los Angeles, déjà célébre pour les innovations qu'il avait apportées à la chirurgie des vertiges et du neurinome, reprit les travaux d'Eyriès. Il codifia l’intervention en positionnant l’électrode de manière stable, en l’enfilant à travers la fenêtre ronde dans le tube cochléaire. Il mit au point [8] un implant fiable, placé chez des patients de plus en plus nombreux.

Ce système, qui stimulait l’ensemble des fibres du nerf auditif, ne permettait de reconnaître que les rythmes de la parole. Mais il sortait les sourds totaux du silence dans lequel ils étaient enfermés, et le ryhtme des sonorités perçues améliorait leur lecture labiale.


Les résultats de House suscitèrent dans le monde ORL l'étonnement, l'enthousiasme, et les critiques les plus vives.

1    On lui reprochait de prendre le risque de détruire les structures de la cochlée ou les quelques fibres nerveuses restantes du nerf auditif.

Ces espoirs et ces réserves suscitèrent une série de recherches concernant la tolérance du matériel implanté dans lesquelles s’impliquèrent très tôt les chercheurs américains et l’équipe clinique australienne de G. Clark:

Clark GM, Hallworth RJ, Zdanius K. A cochlear implant electrode. J Laryngol Otol. 1975, Aug; 89(8): 787-92.

Pour répondre à ces griefs, certains proposèrent de placer l'électode en position extra-cochléaire de. Mais les résultats étaient moins bons qu'avec le système de W. House. Pourtant, le doute concernant l'inocuité de la situation intra-cochléaire des électrodes implantées persista pendant plus de 12 ans ; à Aix-la-Chapelle, Paul Banfai développa un système multiélectrodes extracochléaires, dont les résultats étaient intéressants. Mais la disparition de son promotteur arrêta l'histoire de ce projet.

Banfai P, Karczag A, Kubik S, Lüers P, Sürth W. Extracochlear sixteen-channel electrode system. Otolaryngol Clin North Am. 1986 May;19(2):371-408.


2    En réalité, le vrai reproche fait à l’implant mono-électrode de House était de ne permettre aucune discrimination de la parole sans lecture labiale. Pour les physiologistes, la stimulation séparée, mais simultanée, de plusieurs contingents de fibres nerveuses cochléaires, chacune véhiculant des sensations sonores de fréquences différentes, était indispensable.

Mais la faisabilité d’un tel système paraissait difficile.

Pourtant, chez l’animal en 1964, B. Simmons avait mis en place à San Francisco plusieurs électrodes en des points différents de l'épanouissement du nerf cochléaire au fond du conduit auditif interne et il avait obtenu des réponses différenciées au niveau du colliculus (partie médiane du cerveau auditif). Plus tard, R.Merzenich démontra chez le macaque que les stimulations de chacune de ces électrodes entraînaient des réponses différenciées dans les formations auditives corticales.

Simmons FB, Mongeon CJ, Lewis WR, Huntington DA. Electrical stimulation of acoustical nerve and inferior colliculus. Arch Otolaryngol. 1964 Jun; 79: 559-68.
Merzenich MM, Brugge JF. Representation of the cochlear partition of the supérior temporal plane of the macaque monkey. Brain Res. 1973, Feb 28; 50(2):  275-96.

Cependant, chirurgicalement ce positionnement des électrodes était impossible chez l’homme. Certains auteurs essayèrent d’enfiler un faisceau d’électrodes de longueur différentes à partir de l’apex cochléaire. W. House, lui-même, en fit autant à travers la fenêtre ronde. Mais les résultats étaient décevants, parce que, quelle que soit l’électrode stimulée, les liquides labyrinthiques diffusaient l’influx électrique à tout l’éventail des fibres nerveuses auditives. De plus, l’appareillage capable de générer ces informations multiples était, dans les année soixante, trop volumineux.

C’est pourquoi, en 1965, W. House décida de se contenter d’un système mono-électrode, dont il poursuivit d'ailleurs la mise en place jusqu’au delà de 1995.. .!

En 1972, W.House rapporte son expérience lors d’un Congrès, auquel assistait A. Morgon. Celui-ci, qui s'intéressait à la surdité de l'enfant, saisit tout de suite l'intérêt présenté par cette audition, si modeste soit-elle, pour pallier les méfaits de la surdi-mutité.

Il en avertit R. Charachon et moi-même, en nous incitant à nous intéresser à cette technique nouvelle, car il savait qu'entre les années 60 et 65 j'avais travaillé en neuro-anatomie avec Eyriès et que, Bernard Meyer, qui allait bientôt devenir mon Adjoint à Saint-Antoine, était personnellement très lié à Eyriès; par ailleurs, Morgon connaissait les bonnes relations que R. Charachon avait établies avec les chercheurs du Commissariat à l’Energie Atomique de Grenoble. Nous connaissions tous les tentatives d'Eyriès, et nous fûmes donc tout naturellement intéressés par les résultats de House.

Bien que House redonnât à ces sourds profonds une information sonore très précieuse, qui leur changeait déjà considérablement la vie, ses résultats étaient à l'évidence insuffisants parce que

ses patients n'avaient aucune reconnaissance de la parole sans l'aide de la lecture labiale.

A Saint-Antoine, nous n'avons pas hésité longtemps avant d'essayer de faire mieux.

Je posai à P. Mac Leod, médecin physiologiste spécialisé dans les fonctions sensorielles et Directeur de Recherches à l'Ecole Pratique des Hautes Études à Paris, le problème de cette perception et de la discrimination des fréquences produites par une stimulation électrique des fibres du nerf auditif.

Lui aussi pensait qu‘en raison de la phase réfractaire du nerf, un implant monoélectrode ne pouvait guère donner de discriminations fréquentielles au-delà de 300, voire 500 ou peut être 800 Hertz ; certainement pas au-dessus. Avec ce système, les subtilités des voyelles et des consonnes passaient inaperçues, ce qui expliquait la médiocrité des résultats obtenus.

A l’évidence, l’implant cochléaire devait comporter plusieurs électrodes.

Le plus simple était de les répartir le long du clavier fréquentiel du tube cochléaire.

Mais elles devaient, bien sûr, être isolées les unes des autres, sauf à leur extrémité. Mac Leod avait deux exigences absolues :


D’ailleurs, peu de temps après, en mai 1973, au cours du Congrès International ORL de Venise
auquel nous assistâmes Mac Leod et moi-même, Michelson, de San Fancisco, rapporta les résultats perceptifs fournis chez l’homme par quatre électrodes de longueur différentes stimulées par quatre paires de solénoïdes, qui formaient comme autant de bigoudis sur le cuir chevelu. Il nous confirma aussi que la grande difficulté serait d'isoler les électrodes les unes des autres, de manière à ce que la stimulation de l'une ne diffuse pas sur le contingent nerveux de sa voisine, par le biais des liquides de l'oreille interne.


Il était évident, pour nous que le point 1 était résolu par les travaux américains et australiens.

Nous avons longuement cherché à résoudre le point 2, par un après-midi ensoleillé au bord du Grand Canal. De nombreux croquis griffonnés sur la nappe en papier de la trattoria illustraient les fruits plus ou moins impossibles de notre "brain storming".

Puis, au décours d'une intense discussion, l'idée soudain nous est venue, à Mac Leod et à moi-même, de creuser sur la face inférieure du 1° et du 2° tour de la cochlée de petites fénêtres

et d'y placer une ou deux électrode partant vers l'amont et l'aval, puis de glisser chirurgicalement, au coeur de la rampe tympanique, entre elles et leurs voisines, des blocs de silastène pour réaliser cette isolation.

Par ces 8 à 10 fenêtres creusés tangentiellement sur les deux tours du tube cochléaire, entre le nerf facial et la carotide interne, nous pouvions introduire jusqu'à 12 électrodes séparées par plusieurs petits blocs de silastic poussés, après les électrodes, dans chaque orifice.

Nous avons décidé, dans un premier temps, que ces électrodes seraient connectées à une prise de courant transcutanée en téflon et recevraient, grâce à une série de bancs de filtres faciles à construire, les variations d’énergie contenues dans les différentes bandes de fréquence de l’information sonore.

Après avoir vérifié la faisabilité de ce projet au laboratoire, nous avons testé la méthode sur des patients volontaires .

Notre éthique était la suivante : ces patients devaient présenter une fracture du rocher avec surdité totale et paralysie faciale homolatérales à la fracture. Il fallait donc absolument les opérer pour traiter leur nerf facial lésé par l'embarrure osseuse.

Appareillage avec lequel, à la fin de l'année 1973, nous avons pu montrer l'efficacité de ces cloisonnements cochléaires sur la discrimination fréquentielle et la reconnaissance verbale.

Je leur demandai l’autorisation d’appliquer notre technique pour tester la valeur fonctionnelle de leur oreille a priori "perdue", puis de nous consacrer quelques heures dans leurs suites post-opératoires, en les avertissant toutefois que, même en cas de succès, ce ne serait qu'un essai, puisqu’ils entendaient bien de l'oreille opposée. Informés du but que nous poursuivions, ils me donnèrent tous leur accord.

les boutons trans-cutanés de nos premiers patients (de 1973 à 1975)

En quelques mois, grâce à trois d'entre eux, je pus démontrer que la stimulation sélective des six ou huit électrodes, mises en place et isolées selon notre technique, leur procurait des sensations fréquentielles différentes.

Chouard CH, MacLeod P.La réhabilitation des surdités totales: essai de l'implantation cochléaire d'électrodes multiples. La Nouvelle Presse Médicale. 1973; dec 8;(2): 217-33..


Forts de ces résultats, nous avons implanté, là encore à titre d’essai, cinq patients atteints cette fois de surdité acquise totale et bilatérale. Le test de stimulation électrique de la fenêtre ronde, que nous avions mis au point, leur avait déjà permis d’entendre des sonorités variées.


L'émetteur de ce premier implant cochléaire portable date de 1974: il nous a permis de démontrer la faisabilité de notre procédé d'implantation.

Mais je leur expliquais bien que cette audition retrouvée serait transitoire, car il faudrait ensuite inventer un système pour supprimer ces prises de courant. Ainsi informés, la plupart acceptèrent.

Dans leurs suites post-opératoires, après avoir bénéficié d’un entraînement orthophonique relativement bref, tous ces patients ont pu reconnaître un pourcentage variable de mots sans lecture labiale.

Chouard CH, Mac Leod P. Implantation of multiple intra-cochlear electrodes from rehabilitation of total deafness: Preliminary report. The laryngoscope 1976 ; 86: 1743-1751.

C’est au début de ces travaux que C. Fugain, médecin ORL Phoniatre, et B. Meyer sont venus étoffer l’équipe du Laboratoire de Recherche ORL Universitaire de Saint-Antoine, dont B. Meyer résuma l’expérience dans sa Thèse.

Meyer B. Contribution à la réhabilitation chirurgicale des surdités totales par implantation intracochléaire d’électrodes multiples ; Thèse Médecine, Univ Paris VII, Paris, 1974, 94 pages.

Tous deux ont eu ensuite un rôle multiple et essentiel dans tout ce qui a suivi.

Comment se débarrasser de ces prises de courant transcutanées ? Pour moi, il était impensable de s’en contenter de manière définitive, comme le préconisèrent pourtant certains auteurs américains, jusqu'à la fin des années quatre-vingt. Par ailleurs, placer une paire de solénoïdes par électrode, comme Michelson l’avait fait, était impensable.

Pour résoudre ce problème il fallait une technologie supérieure aux moyens de mon laboratoire. Je me suis donc tourné vers une société de recherches et de développement, pleine d'initiative et de souplesse : la Société Bertin.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Bertin  

 

L'invention était son propos, et l'aérotrain fut un de ses fleurons .

Quel était donc le problème ?

Il s'agissait d'envoyer simultanément six ou huit ou douze informations différentes, et peut être même plus, de manière à ce qu'elles arrivent dans l'oreille interne toutes ensemble, presque simultanément. En effet, si l'on considère le temps d'analyse de la cochlée, qui est de l'ordre de deux à cinq millisecondes, si toutes ces informations peuvent parvenir à l'oreille dans un délai inférieur, elles seront ressenties comme étant simultanées par l'oreille malade

En découpant l'information sonore en unités de temps très petites, et en les faisant passer si rapidement que la totalité des huit ou des douze informations parviennent à l'oreille en moins de 3 millisecondes, le tour était joué.

Les premiers microprocesseurs venaient d'apparaître et Mac Leod en connaissait toutes les possibilités théoriques. C’est lui qui suggéra à l'ingénieur de Bertin, J. Ricard, d'utiliser un de ces nouveaux composants pour effectuer, à travers la peau, une transmission électro-magnétique séquentielle de ces informations multiples et simultanées, qui représentaient l’environnement sonore.

On peut dire aujourd’hui que Patrick Mac Leod, avec ses connaissances électroniques et ses exigences physiologiques, est l’« inventeur » de l’implant intra-cochléaire multiélectrode.

L’appareil de table fut vite construit ; mais la mort prématurée de Jean Bertin à la fin de 1975 entraîna une restructuration de la Société, nous obligeant à attendre l'été 1976 pour recevoir enfin les 6 prototypes.


La première implantation eut lieu à Saint-Antoine le mercredi 22 septembre 1976.

Devant l’audition revenue dès le lendemain, malgré le volume incommode de l’émetteur , les 5 autres patients furent très vite opérés. La Sté BERTIN insista pour que nous ne fassions pas état de nos résultats avant le dépôt, le 16 mars 1977, du brevet N° 77/07824. Ce brevet, issu des exigences physiologiques de MacLeod, comportait deux revendications simultanées :

  1. la transmission séquentielle à la cochlée d’un nombre indéterminé de bandes de fréquence,
  2. représentant la totalité de l'information sonore audible.


Pendant près de vingt ans, ce document va conditionner toutes les procédures et les recherches utilisées par les autres équipes internationales, qui seront obligées de le contourner, le plus souvent en n'envoyant qu'une partie de l'information sonore de la parole, jusqu'à ce que ce brevet tombe dans le domaine public en 1997.

 

LA MISE AU POINT INDUSTRIELLE: 1977 - 1997

Cette mise au point a été longue. Elle a suscité beaucoup de controverses. Elle a duré vingt ans, à savoir la vie du Brevet Bertin, jusqu’à celui-ci tombe dans le domaine public, et que ses principes puissant alors être adoptés par tous les fabricants. Pour la technologie française, elle comprend deux périodes :

1 - de 1977 à 1988 : le désengagement de Bertin


Cette première période a été marquée par les hésitations commerciales et les tergiversations techniques de la nouvelle équipe dirigeante de la Société Bertin, qui avait remplacé son fondateur, mort un an avant notre première implantation.
Nos premiers résultats n’ont donc été présentés que lors du Congrès international d'ORL tenu à Buenos-Aires en mars 1977, puis proposés pour publication.

Le propos de l’équipe de l’Hôpital Saint-Antoine était de démontrer l’efficacité de notre implant cochléaire sur un nombre plus important de patients, afin de pouvoir miniaturiser l’émetteur et généraliser cette technique aux sourds adultes, puis enfin parvenir à la proposer aux sourds congénitaux. A l'aide de crédits nouveaux, que ces publications nous avaient permis d’obtenir plus facilement des organismes sociaux, la Sté Bertin nous construisit quelques appareillages. Mais, pour des raisons « financières », malgré les progrès des processeurs et les promesses des ingénieurs, ces systèmes étaient identiques aux prototypes, dont ils avaient conservé l’inconvénient essentiel : la taille prohibitive de son émetteur.

        Chorimac -8 Il était porté en bandoulière; son volume était celui d'un bidon d'huile de deux litres.  Ces premiers émetteurs étaient très volumineux ; pendant dix huit mois, ils eurent le volume d'un gros bidon d'huile de deux litres. Et ils n'ava


Chorimac -8

Il était porté en bandoulière; son volume était celui d'un bidon d'huile de deux litres.

Ces premiers émetteurs étaient très volumineux ; pendant dix huit mois, ils eurent le volume d'un gros bidon d'huile de deux litres. Et ils n'avaient que huit électrodes.

Pour la Sté BERTIN, il s'agissait de proptotypes.


 

Observant l’influence naissante des média dans les attributions de crédits, j'écrivis un livre pour sensibiliser les bailleurs de fonds.

Il contait ma motivation de prévenir la surdi-mutité, le vécu de nos recherches et décrivait nos espoirs pour l'avenir.

Mais surtout, nous avons organisé à Paris en septembre 1978, à l'Hôpital Saint-Antoine, le Premier Cours International sur l'Implant cochléaire à multiéléctrodes, pour y exposer en détail le principe de l'appareillage Bertin, la technique de l'intervention et les résultats obtenus.

 


Il y eut beaucoup de monde à ce Cours. Tous les pionniers étaient là: House, Eyriès, Michelson, mais aussi des inconnus de l'époque, qui participèrent à ce qui fut un véritable Congrès.

 

quelques participants à ce diner de clôture
Dr Erwin HOCHMAIR
Jim PATRICK
Ingeborg HOCHMAIR-DESOYEZ
MICHELSON
 

Sur les photos , prises au Dîner de Clôture de cette réunion, on peut reconnaître aujourd'hui les visages tout jeunes de ceux qui allaient devenir, bientôt, les responsables scientifiques ou commerciaux des fabricants autrichiens, australiens et américains.
Tout cela nous a aidés à obtenir des subventions nouvelles, notamment industrielles perçues par la Société Bertin pour qu’elle nous bâtisse enfin l’appareillage moins volumineux, que nous réclamions depuis 1976. Mais, malgré les crédits, il nous a fallu quatre ans de tergiversations, de promesses non tenues et de délais toujours repoussés pour obtenir un début de satisfaction.

Le temps passait.

En 1979, Clarke et son équipe de Melbourne, dont plusieurs membres avaient assisté au Congrès de Paris, publièrent

A prelminary report on a multiple-channel cochlear implant operationTong YC, Black RC, Clark GM, Forster IC, Millar JB, O'Loughlin BJ, Patrick JF. J Laryngol Otol. 1979 Jul; 93(7): 679-95.

les résultats obtenus en envoyant, sur un faisceau de trois électrodes de longueur différente enfilées facilement à travers la fenêtre ronde, une information limitée au voisement et au premier formant de la parole. L'avantage de cet apport restreint était de fournir une information supérieure à celle que donnait un implant monoélectrode, sans exiger un émetteur aussi encombrant que le nôtre.

 


Pendant des mois, nous avons aiguillonné Bertin avec cette publication. Absolument certains de la supériorité théorique de notre appareillage, il nous fallait diminuer sa taille et simplifier la mise en place de nos 8 à 12 électrodes, pour que d'autres chirurgiens osent le mettre en place et contribuent à sa diffusion.

Pendant quelque temps, la Sté Bertin parut convaincue ; elle nous livra, mais seulement courant 1982, un appareil à 12 électrodes, dont l’émetteur, plus petit, ne dépassant pas le volume d'un livre, était encore énorme au regard des systèmes simplifiés et bien plus maniables de Melbourne.


le Chorimac-12

Chorimac 12 ouvert, pour permettre les réglages à l'aide de potentiomètres mobilisés par un tourne-vis

 

Certes, les paramètres de ses douze canaux étaient adaptables par le rééducateur aux particularités électrophysiologiques auditives propres à chaque patient. Cette nouveauté, prônée depuis le début par Mac Leod au vu de nos premiers résultats, préfigurait l’avenir. Elle était essentielle, même si, à cette époque, c'était encore avec un tournevis et un oscilloscope que nous réalisions ces réglages.

Bien sûr, cette possibilité était saluée dans les Congrès....

...mais les équipes chirurgicales naissantes ne choisissaient pas l’implant français, trop encombrant et trop complexe à placer. Car nos 12 électrodes devaient, comme au début, être enfilées une à une. L'intervention durait quatre ou cinq heures.

A partir des nombreux moulages de la rampe tympanique que nous lui avions fournis, Bertin, sur nos conseils, nous fabriqua un peu plus tard un porte-éléctrodes, système électriquement étanche, qui réunissait nos douze électrodes de l’époque en un faisceau bien isolé facilement introduit dans la fenêtre ronde. Son emploi raccourcit considérablement l’opération.
Pendant ce temps là, l’implant autrichien s’était rallié lui aussi au principe d’une stimulation multiélectrode intracochléaire; il suivait à quelques nuances près les modalités de contournement du brevet français employées par l’implant australien et connaissait progressivement une diffusion analogue à celle de ce dernier.


Nous étions en 1983.

J'organisais alors pour la deuxième fois un Congrès International à Paris sur le sujet. Australiens et Autrichiens y publièrent leurs résultats et montrèrent leurs derniers appareillages : encore amenuisés, l’un et l’autre tenaient dans la main ou se cachaient dans une poche : lors de la conférence, cet avantage à lui seul assura leur succès. Ces progrès rendaient insupportable le seul inconvénient de l’implant français : le volume de son émetteur, qui masquait ses avantages et ses quelques nouveautés.

Les résultats de ce congrès nous conduisirent à exiger de Bertin que notre implant soit totalement numérisé, comme Mac Leod le réclamait depuis longtemps :

c’était selon lui le plus sûr moyen de miniaturiser l’émetteur et d'automatiser ses réglages, et c’était réalisable, compte tenu des progrès de l’électronique.

Pour convaincre Bertin de répondre au plus vite à notre nouvelle exigence, je m’employai à faciliter l’attribution des crédits que ses dirigeants jugeaient nécessaires pour nous donner satisfaction. Le financement de nos recherches était devenu plus aisé. Les comités d'évaluation, convaincus de la qualité du système français par les résultats auditifs de nos patients, contribuèrent à ce que Bertin reçoive des aides publiques destinées à cette miniaturisation et décidèrent les Organismes Sociaux à financer un nombre progressivement croissant d'appareils.


Cette exigence était d’autant plus urgente que peu de temps après, en 1984, l’US Food and Drug Administration avait approuvé l’implant de Melbourne dans ses indications pour l’adulte. A partir de cette date, l’IC australien connut un développement mérité et fut placé dans beaucoup de centres chirurgicaux, non seulement aux USA, mais dans le monde entier et en France notamment. De plus, les revendications du brevet Bertin paraissaient de plus en plus pertinentes aux yeux des chercheurs.

Elles étaient à la fois contournées à Melbourne ou à Innsbrück, et pourtant mises en doute par certains chercheurs américains :

Parkin JL, Eddington DK, Orth JL, Brackmann DE. Speech recognition experience with multichannel cochlear implants. Otolaryngol Head Head Neck Surg. 1985, Oct; 93(5): 639-45.

Wilson BS, Finley CC, Farmer JC Jr, Lawson DT, Weber BA, Wolford RD, Kenan PD, White MW, Merzenich MM, Schindler RA. Comparative study os speech processing strategies for cochlear implants. Laryngoscope. 1988 Oct;98(10):1069-77.

qui continuaient à utiliser des connecteurs externes, au prétexte de pouvoir ainsi rechercher le meilleur traitement du signal possible. En pratique, ces auteurs étaient conduits à envoyer la totalité de l’information sonore, c’est à dire appliquer la proposition de MacLeod, qui était une des revendications françaises. Cependant cette attitude permettait à ces chercheurs de mettre en doute depuis des années la stratégie de Bertin, essentiellement dans un but de marketing commercial, comme la suite le montrera.


Mais notre exigence de digitalisation changea nos rapports avec la Société Bertin.

Plus aucune discussion technique ne fut possible avec ses ingénieurs, comme nous en avions pris l’habitude depuis l’origine de notre collaboration

Au nom du secret industriel, il nous fallut attendre plusieurs années, sans aucune information sur l’état du projet, pour recevoir un jour un énorme engin, à peine moins volumineux que notre précédent appareillage, et qui de plus n’était que la maquette à construire du pré-projet attendu… !

Comment donc avaient été utilisés les crédits industriels obtenus par cette Société pour financer notre projet ?

Ce fut un gâchis financier gigantesque !

Je n’ai jamais su ses raisons véritables.


C’était en 1987. Le système australien avait pris un grand essor. Son traitement du signal s'était élargi, comportant maintenant, non seulement le voisement et le premier formant, mais également le deuxième formant des voyelles. Du coup, son efficacité s'était accrue, et les Australiens avaient fait un énorme effort de commercialisation. Cet implant, puis les implants autrichiens et américains, ont été alors largement utilisés dans de nombreux centres français et étrangers.


Impossible de continuer à prôner l’implant français.

Nous commençâmes, un jour d'automne de 1989, à implanter nos premiers appareils étrangers, et grâce aux succès obtenus, l’expérience clinique et technologique du Service et du Laboratoire continua à se développer.


2 - de 1988 à 1997 :

la reprise du Brevet Bertin par la Sté MXM-Neurelec, et ses apports technologiques

Presque au même moment, en 1988, la société Bertin avait réussi à vendre à une jeune PME d'Antibes, la société MXM-Neurelec, le droit d'utiliser à son compte le brevet Bertin.

Mais je signifiai d’emblée aux dirigeants de cette société, qu'il n'était pas question de mettre en place un implant cochléaire, fût-il issu de nos travaux initiaux, comportant un émetteur aussi volumineux, leur précisant aussi, qu’avec leur soutien, nous nous sentions forts de reconsidérer entièrement le principe de l’appareil proposé par Bertin. Nos travaux sur l’implant cochléaire avait permis à mon Laboratoire de s’étoffer un peu :

Nous leur proposâmes de trouver un moyen d'obtenir à la fois une miniaturisation supérieure, et surtout une souplesse bien plus grande que celle de l'appareil mort-né que la Sté Bertin aurait voulu nous voir mettre en place.

C'est là où, de manière active, intervint dans notre équipe pour la première fois Jacques Génin, un de mes amis X-Télécom. Il s'ennuyait dans l’Administration, qu'il avait dû réintégrer après de longues années de recherches dans les laboratoires de Lannion et de Grenoble, aux cours desquelles il avait contribué à mettre au point l'ancêtre d'Internet, à savoir le Minitel. Jacques Génin ne prenait plaisir que dans la recherche appliquée, et ses conseils amicaux nous furent très précieux.
C'est là aussi où fut particulièrement efficace cette collaboration que j'entretenais depuis déjà quelques années avec un certain nombre d'écoles d'élèves ingénieurs, et avec la chaire de Génie Biologique et Médical de la faculté de Créteil.

Car ce sont deux de ces étudiants Jean-Marc Leveau et Philippe Dubus, qui un jour eurent l'idée originale, qui nous permit de parvenir à nos fins. Grâce à cette "astuce" nous pûmes construire très simplement le prototype de ce nouvel implant cochléaire français entièrement numérisé.
Qu'importent les détails de cette invention: mettre en série 2 microprocesseurs. Celle-ci aujourd'hui paraitrait bien banale, mais elle a relevé quelque temps du secret industriel, car elle n'était pas brevetable. Elle fut bien sûr vite copiée. Les progrès des microprocesseurs l'ont rendue obsolète en quelques années.

Toujours est-il que ce prototype, fabriqué dans notre Laboratoire, fût confié à la société MXM. En quelques mois, après l'avoir bien sûr revu, et lui avoir donné toutes les sécurités informatiques nécessaires, MXM sortit au début de l'année 1992, un appareil entièrement nouveau, plus petit que son concurrent le plus direct qu'était l'appareil australien, et surtout entièrement programmable.

MXM le baptisa 'Digisonic'. Son récepteur implanté, moins volumineux que celui de ses concurent, contenait pourtant l'antenne réceptrice dans sa capsule en céramique.


le premier porte-électrodes de l'implant Digisonic

Son porte-électrodes était constitué de petites chambres juxtaposées; au fond de chacune d'entre elles se trouvait l'électrode, ce qui améliorait beaucoup l'isolement entre chacune des électrodes.
En outre, chaque électrode était faite d'une surface frittée, très rugueuse, qui augmentait la surface de l'interface entre l'électrode et les tissus vivants, élément qui permettait d'injecter une grande quantité de courant, si elle s'avérait nécessaire, sans aucun risque.
Et puis enfin, l'ensemble de ces petites chambres, articulées les unes avec les autres comme les wagons d'un train, permettait une introduction facile au sein du tube cochléaire.

ce sont deux élèves ingénieurs venus en stage, J.M. Leveau et P. Dubus, qui un jour eurent l'idée - originale pour l’époque, bien qu’elle n’ait pas été brevetable - de mettre en série deux microprocesseurs afin d’obtenir un implant entièrement numérique. Ce prototype, fabriqué à Saint-Antoine, fût confié à la Sté MXM-Neurelec, qui sortit en quelques semestres un appareil entièrement nouveau. Ce n’est pas ici qu’il convient de détailler les apports originaux que ce système nommé Digisonic comportait grâce à sa digitalisation.


Mais ce travail de MXM permit à la France de retrouver immédiatement sa place de leader technologique dans la mise au point de l’IC. La plupart des innovations, qui ont accompagné ou suivi la numérisation complète de l’implant, ont ensuite plus ou moins inspiré celles des autres fabricants.


A partir de 1992,
on a pu observer que les différents implants cochléaires qui existaient dans le monde, modifiaient progressivement leur stratégie du traitement du signal sonore. Celle-ci se rapprochait de plus en plus de la technologie du brevet Bertin, c'est-à-dire envoyer aux patients la totalité de l'information de manière séquentielle.

Sur la côte californienne, l’implant américain envoyait lui aussi de cette façon la totalité de l'information, mais quelques artifices habillement trouvés et quelques restrictions évitaient à ses promoteurs de tomber dans le domaine du brevet français.

Wilson BS, Finley CC, Farmer JC Jr, Lawson DT, Weber BA, Wolford RD, Kenan PD, White MW, Merzenich MM, Schindler RA. Comparative study os speech processing strategies for cochlear implants. Laryngoscope. 1988 Oct;98(10):1069-77.

Wilson BS, Finley CC, Lawson DT, Wolford RD, Eddington DK, Rabinowitz WM. Better speech recognition with speech recognition with cochlear implants..Nature. 1991 Jul 18; 352(6332): 236-238.

Puis l'appareil australien modifia sa stratégie à son tour, en envoyant également la totalité de l’information sonore, mais en ne retenant que les canaux dans lesquels se trouvait le maximum d’énergie. Cette restriction, là encore permit à ce constructeur de ne rien redouter des détenteurs du brevet Bertin.


Un jour, pourtant, la licence française fut indubitablement copiée


La Sté Bertin intenta alors, en 1997 un procès en bonne et due forme, avec saisie du matériel et constats d'huissiers. C’était d’ailleurs juste avant que le brevet ne tombe dans le domaine public. Mais, après quelques tapages et quelques émotions dans certains centres chirurgicaux, les poursuites ont été vite abandonnées : le coût des procédures et des expertises à venir dépassait de beaucoup les avantages financiers que l'entreprise pouvait en attendre.


Depuis, tous les constructeurs appliquent les principes du brevet Bertin, définis par P. Mac Leod.

En France, c'est la Sté MXM-Neurelec qui a repris le flambeau français de l'amélioration technologique permanente de l'implant cochléaire, en fonction des découvertes progressives des cliniciens, des chercheurs et du monde industriel.

 

3

LA PERIODE CONTEMPORAINE : de 1998 à nos jours

La période contemporaine a vu se concrétiser presque tous les espoirs qui ont animé nos recherches.

Je rappellerai les principaux progrès auxquels la France a technologiquement ou cliniquement participé.

L’implantation bilatérale,

est maintenant réalisée couramment, grâce à l’efficacité des IC d’aujourd’hui, leur miniaturisation et la baisse relative de leur coût;

il faut d’ailleurs rappeler que W. House en avait bien compris l’intérêt, lui qui effectuait cette double mise en place de son système mono-électrode depuis 1975.

Quant à l’application de l’électronique de l’implant cochléaire aux particularités de l’implant du tronc cérébral, elle a bien sûr contribué à la diffusion de cette réhabilitation particulière de la surdité totale.

Grayeli AB, Kalamarides M, Bouccara D, Ambert-Dahan E, Sterkers O. Auditory brainstem implant in neurofibromatosis type 2 and non-neurofibromatosis type 2 patients. Otol Neurotol. 2008 Dec; 29(8): 1140-6.

Vincent C, Zini C, Gandolfi A,Triglia JM, Pellet W, Truy E, et al.. Results of the MXM Digisonic Auditory Brain Stem Implant Clinical Trials in Europe. Otology & Neurology, 2002, 23 : 56-60.

Deux avancées me sont particulièrement chères:

Morgon A, Beger-Vachon C, Chanal JM, Kalfoun G, Dubreuil C. Cochlear Implant : experience of the Lyon team. Acta Otolaryngol Suppl. 1984 ; 411 : 195-203.

Legent F. Le dépistage de la surdité dans la période néonatale précoce. Bull. Acad. Natle. Méd. 2008, 192, n° 6, 1233-1235.


Mais Saint-Antoine s’est aussi préoccupé du mariage de l’implant cochléaire et de la prothèse auditive.

Avant même que la technologie numérique appliquée par MXM à l’IC ne se soit imposée à tous les constructeurs, l’idée nous était venue, dès la fin des années quatre-vingt, d’en faire bénéficier les prothèses amplificatrices ; en effet, leur technologie, restée surannée malgré les progrès de l'informatique, ne comportait notamment pas encore de bancs de filtres permettant une amplification différente selon les particularités fréquentielles de la surdité

En retour, nous conseillions souvent aux constructeurs d’IC, et notamment à MXM-Neurelec, d’emprunter aux fabricants de prothèses amplificatrices leur savoir-faire ancien en matière d’ergonomie, de microphone, et d’atténuation du bruit ambiant.

Pour effectuer cette hyménée, il n'y avait pas de brevet à prendre. Il suffisait de faire vite, car c’était si simple d'y penser !

Grâce à J. Génin , les essais de table réalisés dans le laboratoire de Saint-Antoine étaient si prometteurs, qu’il m’apparut urgent de trouver le groupe français capable, en appliquant cette idée, de créer cette industrie de la prothèse auditive inexistante jusqu’ici en France. D'emblée la Sté Alcatel-Alsthom se montra intéressée: nous étions en train de terminer la feuille de route des essais avec ses ingénieurs, lorsque se produisit dans l'été 1995 un changement dans la stratégie du groupe, qui abandonna le projet.

Peu de temps après, je fus contacté par Siemens-France, qui avait eu vent de notre propos: l'idée se montra bonne dès nos premières tentatives: 3 canaux, puis 5, puis 12: l'intelligibilité augmentait avec le nombre des canaux. Cette technologie est maintenant employée par tous les fabricants dans la plupart des prothèses auditives.

Chouard CH. L'appareillage des surdités de perception: étude d'une prothèse auditive numérique à 7 filtres entièrement programmables. Bull. Acad. Natl. Med. 1997; 181: 275-286.


L’élargissement des indications de l’implant cochléaire aux surdités sévères incomplètes a fait naître l’implant cochléaire mixte, un fruit spectaculaire mais encore discuté de cette mise en commun des deux technologies. Développé très précocement par l’équipe autrichienne, l’implant cochléaire mixte s’adresse aux surdités de perception plus ou moins précoces, comportant une conservation relative des graves, associée à une altération sévère des aiguës, et une très mauvaise réhabilitation par l’appareillage conventionnel.

C’est un appareillage hermaphrodite,

Les modalités d’action physiologiques et les indications cliniques de cet appareillage intéressant sont encore discutées.


Il y a plus encore, de nos jours

On espère pour bientôt les implants cochléaires entièrement implantés, auxquels nous avions pensé il y a bien longtemps [35]; les deux problèmes qu’ils soulèvent sont d’une part le transfert percutané du signal sonore extérieur au micro implanté, et d’autre part la durée de vie, le nombre de cycles de recharge et la sécurité des batteries rechargeables implantées.

Chouard CH, Genin J, Mac Leod P, Meyer B, Dubus Ph, Leveau JM. Présentation du Prototype d'une Prothèse Cochléaire entièrement implantée. Ann. Oto-Laryngol.(Paris). 1990 ; 107 : 424-429,

Mais ces implants cochléaires seront là dans un avenir proche, car, pour les prothèses amplificatrices, les prototypes existent déjà et sont en cours d’évaluation .

Et puis arrivent les robots osseux qui savent placer le porte-électrodes sans aucun délabrement osseux intracochléaire grâce au forage d’un simple puits osseux à travers la mastoïde.

Miroir M, Nguyen Y, Szewczyk J, Mazalaigue S, Ferrary E, Sterkers O, et al. Evaluation du prototype d’un système robotique pour la microchirurgie de l’oreille moyenne. Comm. 116° Congrès de la Société Française d’ORL et de Chirurgie de la Face et du Cou. Colloqium (Paris) Octobre 2009.


A vrai dire, dans les prochaines années, on peut espérer beaucoup des retombées de l'informatique nanomètrique, actuellement en cours de définition et d’élaboration. Les applications des stratégies nouvelles de la nano-informatique au monde sonore vont révolutionner notre environnement, et le traitement de la surdité. Grâce à elle, les bruits de fonds polymorphes, qui perturbent encore tant de malentendants, seront peut-être éliminés en temps réel.

REMARQUES POUR CONCLURE

Pendant 28 ans, de 1973 à 2001, le Laboratoire Universitaire de recherches ORL que j’avais créé ex nihilo en 1966 dans le Service ORL de Saint-Antoine, a réalisé sous mon impulsion tout ce qu’il était possible de faire pour la mise au point, et la promotion d’un IC efficace et fiable.

En résumant plus haut la description de ces travaux, j’ai évoqué les règles éthiques que nous avons suivies, sans avoir jamais ressenti la nécessité d’un Comité ad hoc : trois générations chirurgicales dans mon ascendance directe m’ont permis d’imprégner aisément tous nos essais des préceptes hippocratiques les plus stricts.
Il faut commenter ces efforts en tenant compte de trois précisions concernant les difficultés que nous avons rencontrées, à savoir le rôle précieux de l’environnement scientifique, les méfaits de la concurrence commerciale dans la réalisation des comparaisons d’efficacité multicentriques internationales, et enfin l’opposition du monde des sourds.

-1-Le rôle précieux de l’environnement scientifique mondial


Les débuts de nos recherches ont été fort critiqués par certains, qui habituellement n’étaient pas les plus spécialisés dans les problèmes de la surdité.

Mais nous avons été implicitement soutenus par les diverses tentatives de mise au point d’IC plus ou moins différents engagées par de nombreuses équipes françaises et étrangères. En accompagnant nos propres efforts, ces recherches montraient, au reste de la communauté médicale, l’intérêt de cette nouvelle prothèse auditive.

A ce titre, même si la plupart de ces initiatives sont restées sans suite, elles font partie de l’histoire de l’IC. C’est pourquoi je tiens à évoquer les travaux d’une autre équipe parisienne, celle de B. Frachet, ceux des équipes de R. Dauman à Bordeaux, de P. Banfai à Aix la Chapelle, d’E. Douek à Londres, de B. Ferron à Québec. Il y en eut beaucoup d’autres dans le monde entier, notamment en Chine et très tôt.

Mais je tiens à insister sur l’importance qu’à ce titre ont eu pour nous les travaux de R. Charachon et l’appui clinique de A. Morgon. Entre 1972 et 1977, par de nombreux mémoires et publication scientifiques, ils ont contribué à la définition clinique et instrumentale des indications de l’IC.

Les travaux de l’Ecole Grenobloise, notamment la Thèse de Médecine du Docteur Bernard Accoyer, objectivaient la viabilité technique du projet français et, si matériellement le CEA de Grenoble ne put répondre, en ce temps là du moins, à ses espérances, les efforts entrepris avec l’aide de cet organisme ont eu l’intérêt de montrer à nos détracteurs, que les recherches de Saint-Antoine n’étaient pas utopiques.

Frachet B, Vormes E, Verschuur HP, Harboun-Cohen E, Despreaux G. Electrical stimulation of the fenestra ovale. Perspectives. Ann Otolaryngol Chir. Cervicofac. 1988; 105(8): 597-600.

Négrevergne M, Dauman R, Lagourgue P, Bourdin M. The Prelco mono- canal extra- cochlear implant. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord). 1988; 109(3): 273-6.

Fourcin AJ, Rosen SM, Walliker J, Douek EE, Clark GP, Moore BC. Electrical auditory stimulation in the management of profound hearing loss. J Laryngol Otol. 1979 Apr; 93(4): 427-8.

Bergeron F, Ferron P, Desgagné M. Cochlear implantation in Quebec city: auditory performance in a recently trained patient. J Otolaryngol. 1989 Feb;18(1):7-23.

Chouard CH, Pialoux P, Mac Leod P, Charachon R, Meyer B , Soudant J., Morgon A . Stimulation électrique du nerf cochléaire chez l’homme. XII° Congrès International d’Audiologie, Paris 1974.

Accoyer B, Charachon R, Richard J. Electrocochleography. First clinical results. J Fr Otorhinolaryngol Audiophonol Chir Maxillofac.1974 Jun; 23(6): 499-505.

Accoyer B. Approche théorique et clinique du traitement des surdités totales par implantations chroniques d’électrodes intra-cochléaire multiples ; Thèse Médecine, Grenoble, janvier 1976, 184 pages.

-2-Les méfaits de la concurrence commerciale dans la réalisation des comparaisons d’efficacité multicentriques et internationales.


A la fin des années quatre-vingt, on a réalisé de nombreuses études pour comparer l’efficacité des 4 types d'implants mis en place dans le monde. Les chercheurs et les milieux industriels ne s'opposaient plus sur les avantages comparés des systèmes monoélectrode et multiélectrodes, car le procès en avait été vite fait.

Mais le problème était de savoir si l’efficacité des systèmes qui envoyaient la totalité de l'information, tels l'appareil français, ou l'appareil américain de Eddington], avec ses boutons transcutanés, était ou non équivalente, ou supérieure, à celle des systèmes qui n'envoyaient qu'une partie la plus pertinente de l'information, c'est-à-dire les appareils australiens et autrichiens. La comparaison était théoriquement fiable : elle consistait à mesurer le pourcentage d’intelligibilité fourni par l’implant dans la discrimination de la parole prononcée, sans l’aide de la lecture labiale, sous forme de listes de mots choisis parmi ceux de l’environnement courant du patient. Elle paraissait donc facilement quantifiable.

Mais, en pratique, et surtout à l’époque, de telles comparaisons rétrospectives étaient bien difficiles à réaliser, les patients et la physio-pathologie de leur surdité n’étant jamais exactement les mêmes. De plus, les équipes n’avaient pas les mêmes critères de sélection. Aucune n’effectuait les mêmes tests pré-opératoires, ce qui aurait permis de quantifier certains d’entre eux, tel par exemple le pourcentage de fibres nerveuses restantes dans le nerf auditif, dont le test de stimulation électrique de la fenêtre ronde pré opératoire, à l’époque systématique à Saint-Antoine, ne donnait d’ailleurs qu'un aperçu tout à fait rudimentaire. En outre les populations implantées étaient beaucoup trop restreintes, pour que les résultats obtenus soient statistiquement significatifs. La plupart de ces enquêtes à prétentions multicentriques et internationales ont été entachées d’erreurs méthodologiques, à l’origine desquelles les conflits d’intérêt n’étaient pas absents et les conclusions de certaines feraient frémir les comités d’évaluation d’aujourd’hui.

Nous en avons parfois pâti à Saint-Antoine : au cours de l’une de ces enquêtes, par exemple, les locuteurs anglophones de l’Amérique profonde, dont la voix avait été enregistrée en Iowa pour servir de support à des tests d’audiométrie vocale réalisés chez nos patients francophones, avaient une pratique de la langue française qui se limitait à celle d’un voyage de quelques semaines en Europe plusieurs années auparavant.

-3- l’opposition du monde des sourds


Cette période de l’histoire de l’IC a été paradoxalement troublée dans le monde entier par l’opposition violente du « monde des sourds » aux efforts des chercheurs. En France notamment, peut-être parce que nous avions clairement annoncé que le but de nos recherches était la prévention du handicap de la surdi-mutité.

A ce propos, je tiens à souligner le travail effectué dans notre laboratoire en 1982, qui a démontré les effets préventifs de l’IC sur l’atrophie des centres auditifs cérébraux ; il nous a permis de comprendre la raison neuro-anatomique des mauvais résultats de l’implantation tardive des sourds-muets adultes, en observant que, chez l’animal, cette prévention ne se produisait que si l’IC était placé chez le sujet jeune avant un âge critique particulièrement précoce.

Chouard CH, Josset P, Meyer B, Buche JF. Effet de la stimulation électrique du nerf auditif sur le développement des noyaux cochléaires du cobaye. Ann. Oto-Laryng. (Paris) 1983 ; 100 : 417-422.

Ce refus de l’IC, par des professionnels prenant en charge les conséquences de la surdité profonde de l’enfant, a pris des formes brutales (occupations des services hospitaliers) ou folkloriques (en perturbant certaines réunions scientifiques). Aujourd’hui, à peu près calmée [45], cette opposition perdure néanmoins dans certains milieux [46].

Traitement de la surdité par pose d’implants cochléaires et du tronc cérébral. Rapport de la Haute Autorité de Santé, mai 2007 ; 2 avenue du Stade de France – 93218 Saint- Denis La Plaine CEDEX ; http://www.has-sante.fr

Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé. Avis N° 103. Ethique et surdité de l’enfant : éléments de réflexions à propos de l’information sur le dépistage systématique néonatal et la prise en charge des enfants sourds. Décembre 2007.


La notion de « monde des sourds » est le fruit tardif des efforts de l’abbé de l’Epée pour insérer les sourds profonds dans le monde des bien-entendants. Jusqu’à l’arrivée de l’implant cochléaire, appartenir au monde des sourds, avec sa langue propre, était dans bien des cas un traitement palliatif de ce handicap, permettant l’épanouissement de l’individu qui en était atteint.
La valorisation de ce handicap fut sûrement très utile. Mais cette valorisation, en devenant efficace, eut pour « effet adverse » d’enfermer ces personnes dans un ghetto, avec leur langue propre, et même sans doute leurs particularités physiologiques ; la colonisation, par les stimulations visuelles, des zones cérébrales auditives non activées lors de l’enfance par des informations sonores explique sans doute le sens aigu de l’espace, qu’ont acquis les sourds profonds congénitaux non appareillés et devenus adultes. Cet effet de la plasticité cérébrale s’observe notamment dans la précision spatiale que demande la grammaire de la langue des signes dans la relation rapprochée locuteur – écouteur.

Buonomano DV, Merzenich MM. Cortical plasticity: from synapses to maps.Annu Rev Neurosci. 1998;21:149-86.


Le « monde des sourds » est peut-être la plus ancienne Association de Patients des deux siècles passés. Pendant vingt ans, l’IC l’a rendue la plus violente. Lors de ces manifestations anti-implant, il était surprenant d’observer que les tenants de la culture sourde les plus opposés aux développements de l’IC étaient très rarement des sourds profonds. Mais, que défendaient-ils ? Normo-entendants, ou atteints de surdité partielle et appareillés avec des prothèses amplificatrices, ces meneurs entendaient presque tous de façon à peu près satisfaisante. L’audition, qu’ils refusaient avec brutalité à leurs protégés, était analogue à celle qui leur avait permis de devenir des professionnels de la prise en charge les sourds profonds, enfants ou adultes, en apprenant à ceux-ci la langue des signes ou en transcrivant en gestes les messages sonores des média audio-visuels.

CONCLUSION

On peut dire que l’histoire de l’IC, vieille d’à peine un demi-siècle, a son avenir devant elle. Couramment pratiquée de nos jours, cette technique de réhabilitation de la surdité va connaître un développement insoupçonnable pour nous aujourd’hui. Il est bon que les chercheurs, les cliniciens et les industriels, qui vont en vivre la suite, se souviennent de ce que furent ses débuts.


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