L'histoire de la Rhonchopathie Chronique s'écrit avec celle de
son symptôme le plus criant, le ronflement, et de ses conséquences, notamment la plus grave, le syndrome d'apnée du sommeil.
Comme en bien d'autres domaines de la médecine, la France a eu un rôle primordial dans la mise en évidence progressive de la maladie.
C'est au XVIIIème siècle, que sous le scalpel de MORAND (1) fut pratiquée en France la première pharyngotomie à l'occasion d'une fluxion aiguë de la luette. MORAND, de "l'Académie Royale des Sciences et de plusieurs autres", raconte succinctement les circonstances de cette intervention page 101 de ses opuscules de chirurgie parus en 1972 avec approbation et privilège du roi :
"Tout le monde sait ce que l'on appelle avoir la luette tombée ; mais l'on imagineroît peut-être pas que cette maladie, laquelle en général ne paroît point être de conséquence, pût à la longue coûter la vie au malade. Une Dame d'environ 40 ans, demeurant en Province, se montra ayant la luette tombée, à un Chirurgien du lieu qui lui ordonna les remèdes usités, les gargarismes connus, etc. La maladie augmenta peu à peu, mais à tel point que la Dame avoit de la peine à avaler. Sans cesse occupée de son gosier, prenant peu de nourriture, ne dormant point, elle tomba dans une maigreur et un état de langueur à faire craindre pour sa vie. Elle me fut amenée à Paris où je ne fus pas longtemps à reconnoitre la cause de son fâcheux état, que je crus devoir attribuer à la chute de la luette. Je lui promis une guérison certaine & prompte en coupant la luette, & je lui tins parole. J'ai fait souvent cette Opération, & elle a toujours réussi".
A l'époque les promoteurs d'une technique nouvelle avaient les
mêmes difficultés qu'aujourd'hui à diffuser leur méthode.
Car MORAND poursuit ainsi :
- J'ai eu occasion de la conseiller dans une Ville, où un Maître Chirurgien, jouissant d'une sorte de réputation, fut fort étonné d'apprendre que j'avois ordonné à quelqu'un de sa connaissance qui étoit dans le cas, de se faire couper la luette, & dit au jeune homme que je m'étois mocqué de lui. Le jeune homme vint cependant à Paris où on lui coupa la luette, & s'en retourna guéri comme je lui avois promis. Au surplus cette Opération eut de si petite conséquence, que je l'ai faite plusieurs fois chez moi, les malades s'en allant sur-le-champ".
On notera cependant que le ronflement important qui devait sûrement
accompagner cette fluxion de la luette n'est pas mentionnée dans
cette relation de MORAND. Deux siècles plus tard aussi, ce symptôme
est resté longtemps absent des premières descriptions cliniques
du syndrome d'apnée du sommeil.
Tout le monde s'accorde pour reconnaitre que c'est à DICKENS que l'on doit en 1837 la première observation dans son livre les aventures de Mr. Pickwick, de cette forme de SAS très particulière présentée par le gros Joe, le valet de Monsieur Wardle. C'est à cause de cette description que Williams OSLER (2) proposa en 1908 d'appeler Syndrome de Pickwick le tableau clinique présenté par ce personnage.
Mais c'est au Français GASTAUD (3) que l'on doit en 1965 la première mise en cause des troubles du sommeil dans ce syndrome. C'est lui qui le premier décrivit les trois types d'apnées maintenant classiques, obstructives, centrales et mixtes. Mais curieusement, si grâce à lui fut identifié avant la lettre le syndrome d'apnée du sommeil, personne à l'époque ne remarqua qu'un ronflement important lui était quasiment constamment associé. De même, lorsque KULHO (4) montra que la trachéotomie améliorait ses patients, il ne remarqua pas non plus que celle-ci faisait en même temps disparaitre ce ronflement.
Rétrospectivement cette lacune parait d'autant plus étonnante que ce ronflement faisait pourtant déjà partie de la description princeps de DICKENS.
"C'était le soir : MM. Pickwick Winkle et Snodgrass étaient allés avec leur joyeux hôte assister à la fête voisine de Muggleton ; Isabelle et Emily se promenaient avec M. Trundle ; la vieille dame sourde s'était endormie dans sa bergère ; le ronflement du gros garçon arrivait, lent et monotone, de la cuisine lointaine".
Entre temps en 1960 IKEMATSU s'était le premier intéressé au traitement chirurgical du ronflement, ce signe majeur de la rhonchopathie chronique. Son premier patient fut une de ses nièces, abandonnée par son mari parce qu'elle ronflait. Il décrivit 4 ans plus tard (5) une technique de résection muqueuse qui s'avèra efficace sur le symptôme, mais dont la diffusion demeura très restreinte, tant à l'époque cette disgrâce sonore paraissait normale et sans conséquence pathologique.
C'est entre les années 70 et 80 que le syndrome d'apnée du sommeil trouva son individualité. En 1972 à Rimini, lors du 1er Symposium sur la pathologie respiratoire au cours du sommeil, le Syndrome d'Apnée du Sommeil fut défini, le syndrome de Pickwick n'apparaissant alors que comme une forme particulière de ce syndrome. Parce qu'en anglais la traduction"Sleep Apnea Syndrom" présente les mêmes initiales, le sigle SAS fut très vite mondialement adopté.
Dès lors les connaissances cliniques neurologiques et physio-pathologiques augmentèrent rapidement, notamment sur l'influence de deux auteurs, l'un neurologue, GUILLEMINAULT (6), lui aussi un français, et l'autre pneumologue, l'italien LUGARESI (7).
En 1981, FUJITA (8), qui connaissait personnellement IKEMATSU, eut l'idée d'appliquer la technique chirurgicale de cet auteur pour dégager les voies aériennes respiratoires supérieures encombrées de ses patients présentant un SAS. Il remarqua le premier que l'amélioration clinique de ses patients allait de pair avec une diminution ou une disparition du ronflement.
Ce qui paraissait accessoire devint, pour le monde ORL, important dans la mesure où la demande des patients concernant cette nuisance sonore, pour latente qu'elle fut, n'avait jamais pu jusqu'à présent être efficacement et régulièrement soulagée.
A la suite des publications de FUJITA, puis celles de GUILLEMINAULT (6) et de Blair SIMMONS (9) à San Francisco, l'école de Montpellier dès 1983 rapporta en France les premiers résultats obtenus sur le ronflement par la chirurgie, mais ne les publia que deux ans plus tard (10). En 1985 le traitement chirurgical du ronflement fut à l'affiche du 12ème Congrès International d'ORL à Miami.
C'est en 1986 que l'équipe du Laboratoire de Recherches ORL de l'Hôpital Saint-Antoine à Paris (11), remarquant que bien des ronfleurs ordinaires présentaient
sur un mode mineur la plupart des signes du SAS confirmé tandis
que le ronflement se retrouvait de façon constante dans ces syndromes,
proposa le terme de rhonchopathie chronique
pour définir cette maladie d'origine plurifactorielle, souvent
bénigne mais parfois fort grave. Simultanément le geste chirurgical
fut bien codifié. Il parvint peu à peu à représenter une alternative
raisonnable dans beaucoup de cas à la ventilation nocturne en
pression positive, qui entre temps avait été mise au point par
SULLIVAN (12) en 1983, et qui jusque-là paraissait le seul traitement
efficace des conséquences physio-pathologiques de cette obstruction
chronique des voies respiratoires supérieure caractéristique de
la maladie.
Dès lors sous l'influence des nombreuses équipes qui s'intéressèrent à cette affection nouvelle, les études se multiplièrent. Elles montrèrent, notamment en France, la grande diversité des manifestations cliniques, des conséquences physio-pathologiques, et des possibilités thérapeutiques de cette affection.
retour au sommaire du ronflement
REFERENCES HISTORIQUES
1 MORAND : in CHOUARD C. H. - Vaincre le ronflement et retrouver la forme. p. 45, Ed. du Rocher 1993 - PARIS
2 OSLER W The principle and practice of medicine. New York, Appleton Sth.Ed. 1918
3 GASTAUD H, TASSINARI C. DURON B. Etude polygraphique des manifestations épisodiques diurnes et nocturnes du syndrome de Pickwick. Rev. Neurol. (Paris), 1965, 112, 573-579.
4 KUHLO W. DOLLE C, FRANCK MC Erfolgreische Behandlung eines Pickwick Syndrom durch eine dauertracheal canule. Dtsch Med. Wochenschr. 1969, 94, 1286-1290
5 IKEMATSU T. Study of snoring IV th Report Therapy. J. Jap. ORL, 1964, 64, 334-335
6 GUILLEMINAULT C, HILL M W, SIMMONS F B, et al. Obstructive sleep apnea : Electromyographie and fiberoptic studies. Exp Neurol 1978 ; 62 : 48-67
7 LUGARESI E, COCCAGNA G, FARNETI P, MANTOVANI M, CIRIGNOTTA F. Snoring - Electroencephalogr. Clin. Neurophysiol. 1975, 39 : 59-64
8 FUJITA S, CONWAY W, ZORICK F, et al. Surgical correction of anatomic abnormalities in obstructive sleep apnea syndrome : Uvulopalatopharyngoplasty. Otolaryngol Head Neck Surg 1981 ; 89 : 923-934
9 SIMMONS F B, GUILLEMINAULT C, SILVESTRI R. Snoring, and some obstructive sleep apnea, can be cured by oropharyngeal surgery. Arch Otolaryngol 1983 ; 109 : 503-507
10 DEJEAN Y, CRAMPETTE L, BILLIARD M, GROSS F. Le syndrome d'apnées du sommeil au cours du sommeil. Intérêt de l'examen ORL. Traqitement chirurgical et indications. Cahiers d'ORL, 1985, 8, 571-584.
11 CHOUARD C. H., VALTY H., MEYER B., CHABOLLE F., FLEURY B., VERICEL R., LACCOURREYE O., JOSSET P. - La Rhonchopathie Chronique ou Ronflement = aspects cliniques et indications thérapeutiques. Ann. Otolaryngo. (Paris), 1986, 103 : 319-327
12 SULLIVAN C, BERTON-JONES M, ISSA F, EVES L. Reversal of obstructive sleep apnea by continuous positive airways pressure applied through the nares. Lancet. 1981, 8225, 862-865.