LES APNEES DU SOMMEIL

L'observation d'un ronflement nocturne permet de faire des observations inattendues au regard des descriptions de la tradition populaire ou de la littérature.

Au-delà de ces tableaux classiques riches en images sonores, le plus frappant n'est pas tant en effet le nombre de décibels produits pendant des heures, que les efforts fournis par le ronfleur pour faire pénétrer l'air dans ses poumons. On est immédiatement frappé aussi par les anomalies évidentes de sa ventilation nocturne, entrecoupée de pauses respiratoires et de semi-réveils, témoins de l'asphyxie subaiguë dont le dormeur est, à son insu, la victime.

Il est tout de même étonnant que, jusqu’à ce que les recherches de l’Hôpital Saint-Antoine la mettent en évidence, on n’ait jamais soupçonné la corrélation directe entre l’intensité sonore et l’anoxie du ronfleur.

Plus la plainte est bruyante, plus grande est la souffrance de l’organisme…!

Comment donc a-t-on pu s'esclaffer devant des ronflements énormes ?
Comment a-t-on pu rire, en entendant des bruits aussi violents et incongrus, poussivement et régulièrement proférés, sans s’inquiéter de ces arrêts respiratoires, ni sans pressentir l'asphyxie progressive que de telles anomalies trahissent chez le ronfleur inconscient ?

La durée de ces pauses reflète bien à la fois la fatigue de ces muscles et l'asphyxie croissante du sujet.
Quelquefois, au terme d'une apnée plus longue que les autres, comme un noyé qui boit la tasse et s'étouffe brusquement, le dormeur s'agite et s'ébroue soudain, à moitié réveillé, en recherchant son souffle.
Mais il ne va pas réellement reprendre conscience, ni garder souvenir de ce drame, qui pourtant va se répéter plusieurs fois dans la nuit.

Néanmoins, parfois, surtout chez le sujet d'un certain âge, cette asphyxie est si grave qu'elle va mettre en jeu tous les phénomènes de survie : accélération du cœur, élévation de la tension artérielle et finalement retour brutal et complet à la conscience. Le sujet se réveille étouffant, spasmé. Il tousse, il hoquète, réveille ainsi sa femme si ce n'est déjà fait, et un affolement bien compréhensible, mais heureusement transitoire, atteint le couple éberlué. Puis tout s'arrange en quelques secondes. Mais, désormais, l'inquiétude s'installe. Une sensation de mort imminente, d'étranglement brutal, dont le mécanisme paraît incompréhensible, a en effet parcouru et réveillé notre ronfleur. Toutes les hypothèses émises par le patient, et bien souvent par son médecin aussi, envisagent le spasme d'un organe, et les plus divers sont mis en accusation. Mais jusqu’à ces dernières années, jamais on n'avait imaginé qu'il puisse ne s’agir que de la banale complication d'un ronflement important, procédant au contraire, non pas d'un spasme, mais d'un relâchement de toutes les parties molles du pharynx.

On pressent les facteurs responsables de cette asphyxie nocturne du ronflement. Le plus important, par sa quasi-permanence pendant la nuit, est d'origine obstructive. Il est dû à ce phénomène de clapet déclenché par un voile du palais trop long accolé sur la paroi postérieure du pharynx. Malgré les efforts du ronfleur, il aboutit plus ou moins rapidement, selon l'état général de celui-ci, c'est-à-dire sa jeunesse, sa robustesse et sa forme physique du moment, à une diminution du débit respiratoire. Les conséquences insidieuses de celui-ci au réveil et dans la journée, n'étaient jusqu'à présent jamais rapportées à leur origine véritable.

Il faut distinguer ces apnées du sommeil des pauses non pathologiques qui, pendant le sommeil paradoxal, entrecoupent souvent pendant quelques secondes la respiration normalement agitée à cette phase très spéciale du sommeil. Ces pauses-là n'ont pas d'autre signification que celles qu'on peut présenter à l'état de veille, lorsque par exemple notre attention se trouve brusquement suscitée, ou lorsque nous effectuons un effort violent, nécessitant le blocage momentané de notre cage thoracique.

Par contre, les apnées du sommeil qui entrecoupent les ronflements sont tout à fait pathologiques, car elles surviennent à un stade de sommeil calme où normalement elles n'existent pas. Leur durée peut n'être que de quelques secondes, à peine perceptible à la fin de l'expiration, légère latence avant la reprise de l'inspiration suivante. Mais elle peut aussi atteindre plusieurs dizaines de secondes ! Le conjoint intrigué et inquiet, qui, dans le noir, écoute le ronfleur, a l'impression que celui-ci est véritablement mort pendant quelques instants ! Alors parfois il le pousse, le secoue pour voir, et pour se rassurer. Et ce geste a un effet partiellement salutaire, puisqu'il réveille plus ou moins le dormeur, qui retrouve à grand bruit sa respiration, se retourne et se rendort aussitôt.

À partir du moment où ces apnées surviennent plus de 5 fois par heure, et où leur durée dépasse 10 secondes, les médecins pneumologues, qui depuis près de 30 ans s'intéressent à ces problèmes, ont défini une maladie qu'ils appellent Syndrome des Apnées du Sommeil. Avec des arrêts respiratoires de cette importance apparaissent en effet des manifestations cliniques évidentes, qui comportent essentiellement

Mais il a fallu attendre le début des années quatre-vingt pour que certains de ces spécialistes remarquent l'association constante de ces apnées du sommeil avec un ronflement important, et qu’on en tire leçon pour comprendre le mécanisme de ces apnées et y porter remède en supprimant le ronflement

Il faut remarquer néanmoins que ce chiffre de dix secondes d'apnée, qui définit le syndrome des apnées du sommeil, est arbitraire. Il existe bien sûr tous les intermédiaires entre l'absence d'apnée et des apnées bien plus longues, dont la durée conditionne à peu près la gravité des complications.

Inversement le ronflement isolé, sans apnée importante, n'est pas exempt de conséquences pathologiques plus ou moins évidentes. Il est d'ailleurs difficile d'affirmer qu'un ronfleur pendant toute une nuit ne présente aucune apnée du sommeil. Sans doute certaines apnées sont-elles complètement méconnues : en effet, plus de la moitié des patients, venus nous consulter pour être débarrassés d'un ronflement gênant sur le seul plan relationnel, présentaient des apnées authentiques à l'écoute de la cassette sur laquelle ils avaient enregistré leur bruit nocturne.

En outre, et c'est là une notion récente:

-les phénomènes évoluent et s'aggravent avec le temps :

-le ronfleur ordinaire,

surtout s'il est jeune,

a un pourcentage de chances non négligeable, quoique encore mal défini, de présenter en  vieillissant

–c’est-à-dire souvent en grossissant -

des apnées du sommeil véritables.

Tous les patients qui présentent un jour ce syndrome ronflaient en fait depuis de longues années avant d’y parvenir.


Si on ignorait jusqu'à tout récemment l'importance et la gravité des troubles biologiques consécutifs au ronflement simple, isolé, c'est que ces troubles n'ont été bien étudiés jusqu’à présent que dans le syndrome de Pickwick, et dans les syndromes sévères des apnées du sommeil. La gravité de ces deux affections justifiait en effet que ces patients soient admis pendant une ou deux nuits dans un de ces centres du sommeil où l'on a les moyens d’étudier simultanément de nombreux paramètres. Et c'est au cours de cette hospitalisation, qu'on découvrait le ronflement. Ce signe était habituellement négligé par le patient quand il décrivait les autres troubles qui l'avaient amené à consulter ; c'est là qu'on a pu remarquer son association avec les apnées du sommeil, et la corrélation de ces deux manifestations avec toute une série de perturbations biologiques témoins de l'asphyxie nocturne entraînée Le ronflement occupe les arrêts respiratoires nombreux, qui peuvent durer jusqu'à 20 ou 30 secondes, et s'achèvent dans le bruit déchirant de la reprise inspiratoire ; et toute la nuit est découpée par de nombreux réveils en sursaut, le plus souvent incomplets, et des séries d'étouffements successifs.

Pendant ces crises, et d'une manière générale pendant tout le sommeil, la quantité d'oxygène contenue dans le sang diminue. Celle du gaz carbonique au contraire augmente. La tension artérielle, qui pourtant normalement s'abaisse dans le sommeil, ici s'élève plus ou moins dangereusement, tandis que le pouls s'accélère ou qu'apparaissent des troubles du rythme cardiaque.

LES 3 FORMES DE LA RHONCHOPATHIE CHRONIQUE

On admet aujourd'hui qu’il existe une seule maladie, la rhonchopathie chronique, dont le maître symptôme est le ronflement, et qui présente 3 aspects bien différents, de gravité et de rareté décroissantes

Le Syndrome de Pickwick

Le Syndrome des Apnées du Sommeil

Le ronflement simple


1-Le syndrome de Pickwick, en est la forme la plus grave. Obèse, hypertendu, insuffisant respiratoire, à la fois cyanosé parce que mal oxygéné, et rouge parce que soumis à une augmentation compensatrice du nombre des globules rouges, le patient dort très mal la nuit. Plus ou moins complètement asphyxique, en proie à un ronflement énorme, il présente des apnées tellement dangereuses (et parfois mortelles), qu'elles conduisaient jusqu'à présent à placer à titre préventif, en un geste barbare mais salvateur, une canule de trachéotomie pour court-circuiter le pharynx rétréci et obstrué.

2-Deuxième aspect de cette rhonchopathie chronique, le syndrome des apnées du sommeil est moins grave, mais plus insidieux : ici tous les éléments du tableau clinique précédent se retrouvent, mais sur un mode mineur ou inconstant. La somnolence diurne est le plus fréquent. Elle est à elle seule très évocatrice de cette forme de la maladie. Cette envie de dormir survient inopinément dans la journée, de préférence après le repas ou aussitôt assis devant la télévision. Mais elle apparaît aussi en voiture. Elle est alors particulièrement dangereuse quand c'est le ronfleur qui tient le volant, car celui-ci nie cet endormissement ou le méconnaît longtemps, avant que la peur de son entourage, (ou un accident de la circulation), ne lui en fasse prendre conscience.

Les troubles du caractère et les modifications du comportement font aussi partie des éléments qui devraient faire suspecter l'existence d'un syndrome des apnées du sommeil. Mais il est plus difficile de les rattacher directement à ces troubles de l'oxygénation nocturne consécutifs à un ronflement sévère...car il y a malgré tout des gens qui ont mauvais caractère et qui ne ronflent pas !

Ces troubles consistent en une irritabilité, des négligences, des difficultés professionnelles, voire un authentique syndrome dépressif. Ils sont presque constamment associés à des maux de tête matinaux et à une véritable difficulté à "démarrer le matin".

Dans les formes sévères de ronflement, avec notamment des apnées du sommeil importantes, ces troubles du comportement, directement liés à l'anoxie et à la fatigue dont le ronfleur est victime, prennent parfois un tour aigu. Ils peuvent aboutir à un tableau appelé de manière pittoresque le "syndrome du PDG clochard ". Voici en effet des industriels, des hommes politiques ou des médecins, dont la tenue vestimentaire et le maintien peu à peu s'altèrent. La cravate est mal nouée, des taches maculent leurs vêtements ; l'air perpétuellement exténué et de mauvaise humeur, ils semblent changer de chemise sale tous les jours, et omettent souvent de se raser.

On pressent le retentissement professionnel d'un tel comportement qui, fait remarquable, va rapidement rétrocéder avec le traitement du ronflement.

Les complications cardio-vasculaires (arythmie cardiaque, insuffisance cardiaque, hypertension artérielle), une insuffisance pulmonaire chronique, des troubles de la formule sanguine avec en particulier une augmentation importante du nombre des globules rouges, sont plus difficilement rattachés à leur véritable origine. Mais leur amélioration, dès que le ronflement aura été supprimé, rendra rétrospectivement celle-ci évidente.

Dans ces deux affections, syndrome de Pickwick et maladie des apnées du sommeil, l'interrogatoire des patients et de leur entourage met toujours en évidence un ronflement chronique important, et surtout, évoluant depuis très longtemps. Il apparaît donc comme un signe majeur et constant. Il est bien admis maintenant par les spécialistes, mais depuis tout récemment seulement, que le ronflement isolé ne représente que la forme mineure de ces deux affections, dont il peut être longtemps la première ou même la seule manifestation.

3-L'existence d'un ronflement permanent avec les petits troubles souvent méconnus qui l'accompagnent, constitue donc à elle seule un troisième aspect de la rhonchopathie chronique.

En dehors du ronflement, il existe d'ailleurs 2 signes communs à ces trois stades de ce qui n'est peut-être qu'une seule maladie, c'est l'existence :

-d’une augmentation du nombre des globules rouges et du taux d’hémoglobine ; ceci objective l’asphyxie latente, analogue à celle des habitants de haute montagne

-d'un hyper développement du diaphragme, conséquence directe de ce ronflement chronique. Ce muscle inspiratoire, qui sépare le thorax de l'abdomen, devient particulièrement puissant chez ces patients. La force de celui-ci se mesure en tenant compte de la dépression maximum que le sujet est capable de réaliser en faisant une inspiration forcée à narines et à bouche fermées. Cette force est significativement plus grande chez les ronfleurs que chez les sujets normaux, parce que, perpétuellement obligés de lutter toutes les nuits contre l'obstacle inspiratoire qui les fait ronfler, ils ont ainsi sans le savoir soumis depuis des années leur diaphragme à des séances de body-building effrénées.

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