Les Traitements "médicaux",

chirurgicaux

et prothétiques de

la Surdité


Nous disposons de tout un arsenal thérapeutique opposable à la surdité, quelles qu'en soient ses formes.

Cependant, lorsqu'il existe beaucoup de traitement pour une maladie, cela signifie souvent qu'aucun d'entre eux n'est parfaitement efficace. On dit aussi que lorsqu'il y a tout un choix de traitements, c'est généralement parce qu'il n'y pas de traitement de choix.

Mais cette constatation désabusée ne doit pas s'appliquer aux problèmes de la surdité.

Car celle-ci n'est pas une maladie, mais un symptôme. La multiplicité des traitements qui peuvent l'améliorer n'est que le reflet de celle de ses causes, dont chacune relève d'un traitement approprié.

Dans ce chapitre, nous décrirons, en les résumant seulement, les traitements de la surdité à l'amélioration desquels le Laboratoire de Recherches ORL du C.H.U. Paris Saint-Antoine n'a pas, d'une manière générale, apporté de contribution particulière.

Il s'agira ici::

Par contre nous nous attarderons davantage, dans deux autres chapitres, sur les possibilités thérapeutiques au développement desquelles nous avons contribué de manière importante et originale. Il s'agira :

6-des Prothèses auditives

Certaines d'entre elles sont maintenant tellement sophistiquées et efficaces sur les surdités les plus rebelles, qu’une partie de leurs composants doivent être placé chirurgicalement au contact des osselets.....

7-de l'Implant Cochléaire
...voire même des éléments nobles de l’oreille interne, c'est-à-dire l'organe de Corti


1-Le traitement préventif de la surdité


Le traitement préventif de la surdité doit être évoqué en premier. C'est à la réflexion lui qui est finalement le plus actif, le plus simple, le plus économique.

Nous avons vu combien le traumatisme sonore était une maladie nouvelle, propre à notre civilisation. Chacun d'entre nous doit prendre conscience de ce risque, et y prendre garde dans le vécu de son quotidien, aussi bien que celui d'autrui.

De même, mais ceci relève surtout du rôle du médecin, il faudra s'efforcer de n'employer de médicaments toxiques pour l'oreille que, lorsqu'au cours d'une affection grave, ceux-ci s'avèrent réellement indispensables à la survie.

La meilleure prophylaxie est de ne pas négliger une surdité lorsqu'elle s'installe, même lorsqu'elle semble bénigne et unilatérale. Il n'est pas bon de laisser évoluer une affection auriculaire sans s'en préoccuper, ni au moins s'assurer que celle-ci ne fait courir aucun risque à l'audition.

Inversement, on saura aussi se méfier de ces interventions un peu trop facilement proposées pour pallier une surdité légère et non évolutive. En effet un geste chirurgical comporte toujours un certain risque d'échec. Celui-ci n'est jamais nul. Les chirurgiens les plus expérimentés sont habituellement les plus prudents, et sont ceux qui savent le mieux en tenir compte dans leurs décisions opératoires.

2-Les médicaments de la surdité

Depuis trente ans, les médicaments ont révolutionné le pronostic de beaucoup d'affections qui autrefois entraînaient très souvent une surdité définitive plus ou moins importante.

Les maladies qui en ont le plus bénéficié dans la vie de tous les jours sont les otites. C'est évident pour les otites aiguës, qui aujourd'hui ne sont plus qu'un bobo de quelques jours sans gravité.

Mais les otites chroniques, celles qu'on traine pendant des années, en ont tout autant bénéficié. C'est parce que les otites aiguës se soignent maintenant beaucoup mieux ,que les otites chroniques sont aujourd'hui moins fréquentes et moins graves que par le passé. Ce changement a été obtenu grâce aux antibiotiques, aux anti-inflammatoires, aux corticoïdes.

Par ailleurs de nouveaux médicaments permettent d'agir dans beaucoup d'affections de l'oreille interne. Certains agissent sur la pression des liquides du labyrinthe. D'autres se proposent d'augmenter la vascularisation ou l'oxygénation aussi bien de l'oreille interne que du cerveau.

Quant aux surdités de perception qui résistent à ces thérapeutiques actuelles, l'espoir de les améliorer repose beaucoup plus sur l'apparition de nouveaux médicaments, ou de nouvelles prothèses, que sur la mise au point de nouveaux gestes chirurgicaux.

3-La chirurgie de la surdité d'oreille moyenne

Pourtant, la chirurgie a elle aussi connu aussi d'énormes changements dans les 40 dernières années.

Le microscope opératoire en est le plus spectaculaire si on considère la chirurgie de la surdité. Il faut préciser qu'il ne s'agit pas d'un microscope analogue à celui que l'on emploie pour examiner les microbes ou les couches minces de tissus ou de prélèvements cellulaires. Dans ces appareils là, l'objet à examiner est placé entre la source lumineuse et l'oeil, qui la regarde comme en transparence. Le microscope opératoire est en réalité une sorte de grosse loupe. Il envoie sur le champ opératoire un faisceau lumineux intense parallèle au rayon visuel des deux oculaires. Ces appareils sont dotés d'une vision binoculaire qui donne bien la notion du relief. Ils ont souvent des commandes au pied qui permettent de faire varier le grossissement, l'éclairage et la mise au point. Ainsi, l'opérateur conserve-t-il l'entier usage de ses deux mains. Dans certains cas, on peut même utiliser un microscope à deux places, avec lequel l'assistant qui aide l'opérateur possède à peu près la même vision que celui-ci.

L'avènement de ce microscope opératoire, apparu vers les années 55 - 60 a radicalement changé le geste chirurgical. Autrefois nos pères opéraient soit à l'oeil nu, soit à la loupe grossissante. Les gestes étaient forcément beaucoup frustes, voire brutaux au regard de ce qu'on peut faire aujourd'hui, et dangereux. D'ailleurs les complications postopératoires, faites de paralysie faciale ou de méningite, étaient à l'époque malheureusement très fréquentes.

Dans ce dénuement instrumental, l'habileté manuelle de certains opérateurs n'en apparaissait que plus extraordinaire. Ces as de la gouge, de la curette, et du petit crochet, étaient capables, avec leur simple loupe, d'effectuer des dissections chirurgicales de l'oreille, que bien des jeunes chirurgiens munis de leur microscope et de leurs micro fraises avec aspiration contrôlée auraient bien du mal à réaliser aujourd'hui. Ces virtuoses de l'époque étaient peu nombreux. Ils parvenaient souvent à des résultats inespérés. Ceux-ci concouraient à cette grande réputation qui fut la leur de leur temps.

Aujourd'hui, il est devenu un peu plus facile d'opérer une oreille. Certes, il existe encore des chirurgiens plus adroits que d'autres, mais cette différence va s'estomper dans les années qui viennent. En effet, toute une série d'instrumentations nouvelles est en train de se mettre en place. Ces matériels sophistiqués sont destinés à faciliter le geste de l'opérateur et à améliorer l'enseignement des générations montantes. La retransmission des gestes opératoires les plus fins effectuée via le microscope, et grâce à un magnétoscope et à des écrans multiples, parfois même en relief, permet à de nombreux assistants de participer à l'intervention comme s'ils opéraient eux-mêmes. Des simulateurs opératoires sur ordinateur commencent même à apparaître. Des optiques coudées montées sur fibres de verre permettent enfin d'aller explorer les recoins les plus inaccessibles de l'oreille.

Un jour nous allons parvenir à la chirurgie robotisée, facteur d'une beaucoup plus grande sécurité pour le patient, et de tranquillité pour l'opérateur. Cette technique n'est pas encore au point pour l'oreille, mais déjà elle se réalise à titre expérimental à propos de la chirurgie des sinus.

Les choses se passent de la manière suivante : juste avant l'intervention, des repères métalliques sont collés sur la peau, et un scanner en couches minces est effectué de la région opératoire. Puis l'intervention commence. Grâce à ces repères, on positionne le crâne de manière précise par rapport à trois règles graduées dans les trois dimensions de l'espace. L'instrument opératoire est fixé sur un support, mis en jeu par trois crémaillères agissant là aussi dans les trois directions possibles. L'image scannérisée en temps réel du champ opératoire permet de suivre en permanence la progression de l'instrument. Mais le trajet que l'instrument doit parcourir a été programmé la veille à l'aide du scanner, afin de lui faire éviter à coup sûr les reliefs et les obstacles des fosses nasales qu'il doit contourner. Ainsi peut-on parvenir aux recoins les plus profonds des sinus ethmoïdaux et sphénoïdaux sans faire courir le moindre risque aux organes voisins.

Ces techniques seront sans doute disponibles pour l'oreille assez peochainement. Elles coûteront très cher, mais elles augmenterons la sécurité de l'intervention, de la même manière que l'informatisation totale de nos Airbus semble y être parvenu dans les transports aériens.

Mais, inversement, la liberté d'action du pilote, je veux dire du chirurgien, s'en trouvra diminuée.

D'une manière générale, le choix thérapeutique du médecin se rétrécit déjà de plus en plus. La multiplicité des investigations préopératoires, des aides informatisées au diagnostic, aboutissent de plus en plus à une conduite thérapeutique presque obligatoire - que préfigurent les récentes Références Médicales Opposables de la Sécurité Sociale - dans la mesure toutefois, où tous les paramètres concernant le patient ont été correctement introduits dans la machine à faire le choix.

La médecine est un art, dit-on souvent.

Mais ce n'est un art que dans la mesure où celui qui l'exerce est obligé de faire des choix, car la nature et la qualité de ceux-ci dépendent certes de l'étendue de ses connaissances, mais tout autant de son intuition.

Ceci explique peut-être pourquoi, malgré les énormes progrès que la médecine a connus depuis une cinquantaine d'années, le médecin n'a plus, dans le folklore populaire, l'aura qu'il avait autrefois. Il devient plus un technicien. Il est moins qu'autrefois un être d'exception dont l'intuition, la dextérité opératoire ou le charisme étaient plus efficaces que les médicaments de l'époque.

Tous ces instruments modernes, qui permettent, souvent sans hésitation, de soigner au mieux les malades d'aujourd'hui, sont très onéreux à acquérir et à faire fonctionner. Ce sont eux les vrais responsables du coût élevé de la santé.

Et c'est pourquoi dans les hôpitaux, le pouvoir médical est bien malgré lui obligé de s'incliner parfois devant certaines décisions financières du pouvoir administratif. Une des fonctions de celui-ci est de répartir les fonds permettant à chaque service de recourir à ces immenses moyens matériels qui pourraient théoriquement être mis à sa disposition. On en vient forcément, un jour ou l'autre, à être obligé de choisir entre une greffe de foie et un implant cochléaire !

Cela nous entraînerait trop loin de parler des multiples techniques de la chirurgie moderne de la surdité, que ce soit celles qui sont capables maintenant de vaincre la plupart des surdités d'oreille moyenne, ou même certaines d'entre elles qui permettent dans quelques cas d'améliorer la surdité de perception d'une maladie de Ménière par exemple, voire même de stopper le risque de surdité totale que comporte un neurinome de l'acoustique en enlevant celui-ci sans abîmer les fibres du nerf cochléaire.

La bio compatibilité des matériaux implantés dans l'oreille


Par contre le problème de la bio compatibilité des matériaux mis en place dans l'organisme en général, et dans l'oreille en particulier, mérite d'être évoqué.

Mais tout d'abord, il ne faut pas oublier que les matériaux les meilleurs, en tout cas les plus fiables, pour reconstruire un tympan ou une chaîne ossiculaire, ou pour combler une brèche quelconque, resteront sans doute toujours ceux qui appartiennent au patient.

C'est ainsi que chaque chirurgien s'ingénie, quand il le peut, à utiliser des copeaux osseux prélevés en arrière de la mastoïde, ou du cartilage détaché d'une zone invisible du pavillon de l'oreille.

Néanmoins - et notamment quand il s'agit d'implanter un système électronique qu'il faut bien enfermer dans une boite étanche - on est amené à faire appel à des matériaux extérieurs, qui ont pour propriété de pouvoir être mis en place sans provoquer de réactions d'intolérance ou de rejet.

Car notre milieu intérieur rejette impitoyablement ce qui ne lui convient pas .

Il est très jaloux de son intimité.

Il est très difficile à séduire.

Il n'acceptera pas n'importe quel cadeau.

Offrez lui, par exemple, une très belle électrode, tout en pur argent, un vrai bijou ! il va l'attaquer, la dissoudre peu à peu et l'oxyder en des substances noirâtres toxiques, qui nous interdisent l'emploi de ce métal précieux.

Proposez-lui de l'or : il consentira à ne pas le changer en produits vénéneux, mais il le grignotera peu à peu, et en quelques mois le subtil assemblage que vous lui aurez construit aura disparu.

Seul le platine trouve grâce à ses yeux, avec quelques autres métaux parmi les plus rares, ou les plus plébéiens, tel l'acier inox notamment. Il y a d'autres substances qui sont elles aussi dites "bio compatibles" parce quelles sont acceptées par l'organisme.

Mais, en réalité, pour la plupart d'entre eux, cette acceptation est bien plus une tolérance qu'une véritable intégration. En effet que ce soit autour du téflon, du silastène, ou de certains minéraux artificiels ou naturels tel le titane, il se forme toujours, dans les tissus "mous", une coque conjonctive réactionnelle d'exclusion plus ou moins épaisse. Elle englobe le corps étranger, comme si elle voulait l'emprisonner.

Face à cette réaction, qui est la plus courante, apparaît remarquable l'intégration dans l'os que réalise le titane. Ce phénomène aboutit à une incorporation donnant une solidité tout à fait appréciable aux prothèses ainsi mises en place. C'est ce matériau que l'on utilise dans les implants dentaires. C'est avec lui que sont construites les prothèses auditives à ancrage osseux, dont nous parlerons dans un autre chapitre..

4.Les suppléances fonctionnelles de la surdité

Les suppléances fonctionnelles vont toujours être d'un grand secours, quelle que soit la qualité de la réhabilitation auditive que l'on peut obtenir par la chirurgie ou grâce aux prothèses. Aucune exclusive ne doit être portée. Tous les moyens doivent être associés, et non pas mis en concurrence, pour aider le sourd à communiquer, quelle que soit la qualité et l'efficacité de l'appareillage dont il a pu bénéficier, prothèse amplificatrice ou implant cochléaire. Cependant ces suppléances fonctionnelles sont d'autant plus utiles que la surdité est plus sévère. Ces suppléances sont essentiellement visuelles, très accessoirement tactiles (ces dernières faisant appel à des prothèses cutanées vibratoires seront évoquées au chapitre " prothèses ".

Les suppléances fonctionnelles d'origine visuelle comportent:

La lecture labiale

La lecture labiale est un moyen très puissant. Elle consiste à reconnaître le phonème, que le sujet est en train de pronocer, en fonction de la forme de la bouche et du visage que prend celui-ci lorsqu'il les prononce.

Dans les cas, assez rares il est vrai, où l'apprentissage a parfaitement réussi, le sourd le plus profond est capable, sans aucune aide auditive, de comprendre une conversation courante, et de faire la différence entre la plupart des phonèmes de la langue française, à quelques exceptions près, qui n'intéressent en pratique que les consonnes.

Tout d'abord, il faut comprendre pourquoi la distinction entre "PA" et "DA" par exemple, ou entre "DA" et "TA", entre "FA" et "VA" n'est pas possible par la lecture labiale seule. Cela s'explique parce que celle-ci n'est pas capable de voir l'élément qui sépare et différencie ces différentes paires de phonèmes, qui constitue ce qu'on appelle le voisement. Il s'agit de l'émergence du bruit de la vibration des cordes vocales ressenti juste avant l'émission de la voyelle qui suit la consonne intéressée.

Mettez votre doigt sur la pomme d'Adam de votre larynx quand vous prononcez le phonème "FA" ; vous ne sentirez rien vibrer. Mais si vous prononcez "VA", vous allez percevoir une vibration tactilement reconnaissable.

Cette vibration, qui est de l'ordre de 100 Hz chez l'homme, et 200 Hz chez la femme, s'appelle le voisement.

Or la lecture labiale ne permet malheureusement pas de deviner, ou d'appercevoir son émergence sous la forme du frémissement cutané de la peau pré-laryngée

.
Par ailleurs, autre difficulté, certaines consonnes ont une forme labiale très proche:

par exemple, la différence entre BAS et BAR n'apparaitra que grâce à une articulation lente et minutieuse du locuteur, très rarement réalisée en pratique. D'autres confusions consonnantiques peuvent apparaitre avec certaines voyelles, TARD avec LARD, ou disparaitre avec d'autres, TIRE contre LIRE.

Mais, heureusement,le cerveau pallie, nous avons vu comment, l'insuffisance de l'information en devinant, à coup de paris successifs, le sens global de la phrase. C'est pourquoi assez souvent ces confusions ne sont pas très gênantes.

Si bien que, au total, la lecture labiale est une suppléance visuelle tellement puissante, qu'il parait que les agents des services du contre-espionnage prennent des leçons de lecture labiale. On dit même que certains d'entre eux sont capables de comprendre parfaitement le sens d'une conversation tenue entre deux personnes en train de bavarder à trois cents mètres de là derrière la vitre de la fenêtre d'un immeuble lointain. En effet, dans la mesure où, avec des jumelles, ils peuvent suivre de tout près la forme que prend leur bouche lorsque parlent ces personnages, cette performance est possible.

Par ailleurs, dans beaucoup de surdité, même les plus importantes, il persiste presque toujours quelques restes auditifs sur les fréquences graves - celles du voisement - que les prothèses les plus puissantes peuvent souvent amplifier. Grâce à cette prothèse le voisement va être perceptible par le patient. Celui-ci, s'il a une bonne lecture labiale, pourrait avoir une compréhension parfaite. Mais ceci exige qu'il voie bien les lèvres de son interlocuteurs - les moustaches sont redoutées - et qu'il n'y ait qu'une personne qui parle à la fois. tout à fait capable de faire une différence phonémique parfaite.

Malheureusement la pratique de la lecture labiale est assez souvent difficile à acquérir.

Je recommande souvent à mes patients de faire appel à un phoniatre ou un orthophoniste pour en apprendre au moins les rudiments.

S'ils sont trop occupés pour cela - c'est à dire finalement pas assez gênés - je leur conseille de s'exercer en observant la bouche des présentateurs de la télévision, qui sont censés avoir une bonne diction.

Ou bien, ne regardent pas les étranges lucarnes, je leur suggère de se réciter "Le corbeau et le renard" tous les matins devant leur glace, en articulant bien et en regardant bien leur propre bouche, puis de répéter la même manoeuvre, mais sans que leur larynx n'émette aucun son. Ainsi peuvent se créer des reconnaissances phonémiques automatique fonction de la forme de la bouche de son partenaire.

Mais, comme toute technique nouvelle, la lecture labiale s'apprend d'autant plus facilement que l'on est plus jeune. C'est pourquoi les sujets frappés de presbyacousie ont tout intérêt, alors qu'ils sont encore verts, à commencer précocement à faire appel volontairement ce substitut, même n'en ont pas encore réellement besoin, pour qu'ensuite cette observation permanente de ses locuteurs devienne automatique.

Chez l'enfant sourd de naissance, l'apprentisage de la lecture labiale est plus difficile, puisqu'il est concommitant de celui de la langue parlée. De nombreux artifices, visuels ou tactiles, ont été inventés par les rééducateurs pour associer et faire progresser ensemble ces deux enseignements


Les moyens d'expression gestuelle :

L'utilisation des gestes pour communiquer avec autrui peut se faire selon plusieurs modalités.

Gestes destinés à appuyer certains éléments du discours

1-On peut accompagner une expression orale normale de gestes destinés à appuyer certains éléments du discours. Il s'agit là d'une propension inégalement répartie selon les individus, et surtout les langues. Les peuples méditerranéens, volubiles et chaleureux, parlent beaucoup plus avec leurs mains, que les anglo-saxons froids et réservés.

Mais les gestes peuvent avoir un sens beaucoup plus précis, et se donner pour but d'aider la lecture labiale, c'est-à-dire de faciliter l'oralisation en dépit d'un déficit auditif important. Il existe deux systèmes différents.

Le langage parlé complété

2-Le langage parlé complété - communément appelé en raccourci LPC - nommé aussi souvent cued speech, qui en est la traduction anglaise, réalise un codage des syllabes grâce à, d'une part une configuration particulière des doigts qui représente la consonne, et d'autre part une position particulière de la main autour du visage représentant la voyelle. Le langage parlé complété est facile à apprendre, mais sa réalisation casse et ralentit le rythme de la parole.

L'alphabet des kinèmes assisté (AKA)

3-L'alphabet des kinèmes assisté (AKA) est un système gestuel qui traduit chacun des mouvements bucco-faciaux identifiables (on les appelle des kinèmes) en une série de gestes facilement reconnaissables, mais qui de plus traduisent en même temps les mouvements de la phrase et de l'intonation. Chaque kinème comprend souvent plusieurs phonèmes. L'apprentissage est plus complexe. Mais l'expression est plus fluide, plus souple, et suit mieux le flux normal de la conversation.

Ces deux dernières méthodes permettent à l'enfant d'éviter les confusions de la lecture labiale, de lever l'ambiguïté des sosies labiaux (OU - O). Elles accélèrent la saisie et la mise en place du langage oral dans sa totalité. En outre elles permettent aux parents de continuer à utiliser leur langue, tout en la rendant plus accessible à leur enfant sourd.

La langue des signes

4-La langue des signes est toute différente dans son principe et sa manière d'utiliser les gestes pour communiquer. La langue des signes ignore volontairement le langage oral et sa syntaxe. A l'aide de gestes, de mimiques, et de mouvements corporels, elle crée un code particulier, et c'est en cela qu'il s'agit d'un langage, différent du langage oral. Contrairement à une opinion répandue, il n'existe pas de langue des signe qui soit utilisée et comprise universellement. Les langues des signes pratiquées dans différents pays varient notablement les unes des autres. C'est le cas par exemple de l'American Sign Language, le langage signé français, de l'Israeli Sign Language.

On comprend que, depuis l'abbé de l'Épée, philosophes, linguistes, intellectuels, se soient si vivement intéressés à ce mode de communication. Parmi eux, le plus connu peut-être, fut le physicien américain Graham Bel, qui, en s'efforçant d'améliorer le mode communication des sourds, inventa le téléphone, et dont le nom fut ensuite emprunté lorsqu'il fallut nommer les unités de mesure de l'intensité sonore.

En enseignant la langue des signes aux sourds profonds, ces chercheurs ont contribué à lui donner l'énorme développement qu'elle a connu jusqu'à ces dernières années. Mais ce développement ne put se produire que parce que le monde médical était, à l'époque, incapable d'apporter à la plupart des enfants sourds une audition suffisante pour obtenir leur oralisation.

L'arrivée après la deuxième guerre mondiale des prothèses portables par de jeunes enfants a déjà beaucoup réduit son champ d'application, et, depuis que sont devenues disponibles - à partir de nos années 50 - des prothèses auditives suffisemment petites pour être portées par de jeunes enfants, le champ d'application de la langue des signes s'est trouvé considérablement réduit.

L'arrivée de l'implant cochléaire en a restreint encore la nécessité, car cette prothèse auditive implantée permet d'entendre, c'est-à-dire de pouvoir apprendre à parler, à l'immense majorité des enfants, pour qui, jusqu'à présent, la langue des signes était le seul mode de communication possible.

Le français signé

5-Il est enfin un autre mode de communication gestuel, intermédiaire entre la langue des signes et les aides à la lecture labiale. Il s'agit du français signé, système dans lequel chaque signe correspond à un mot français. Le français signé dérive directement du système des signes méthodiques conçu par l'abbé de l'Épée. C'est un outil pédagogique pour faciliter l'apprentissage de la lecture et de l'expression des sourds. Il doit être considéré comme un système intermédiaire, véritable pont entre le langage ésotérique de la langue des signes, et le langage parlé.

Que faut-il penser de ces différents modes de communication gestuelle ?

A mon sens, ils ne doivent, sauf exception réellement très rare, être considérés que comme un appoint à l'apprentissage de l'oralisation.

C'est le but du langage parlé complété, de l'alphabet des kinèmes assistés, et dans une certaine mesure du français signé.

Mais tel n'est pas le propos de la langue des signes, qui comporte un code complètement différent du langage parlé. Il s'agit d'une langue qui n'a rien à voir avec celle employée par 99,99% de la population françophone, mais qui est pourtant spécifque du français et n'est interntionalement compréhensible pour ceux qui l'emploient.

La pratique exclusive de la langue des signes par un sourd profond n'ayant aucune oralisation, ne lui permet de communiquer qu'avec la communauté très restreinte de ceux qui connaissent ce langage. Cette pratique exclusive le rejette complètement du reste des bien-entendants.

Cette conséquence regrettable, l'exclusion, la constitution d'un groupe isolé, incapable de communique hors de son ghetto, était acceptable autrefois, lorsqu'aucune prothèse n'était capable d'apporter aux enfants sourds profonds assez d'audition pour qu'ils puissent apprendre à parler.

Mais maintenant que l'implant cochléaire est venu considérablement restreindre ce lot d'enfants déshérités, puisque plus de 90% d'entre eux peuvent, avec l'implant cochléaire, entendre suffisamment pour être oralisés, la pratique de la langue des signes perd beaucoup de son intérêt. Elle pourrait être envisagée à la rigueur comme un mode d'appoint pour communiquer, à condition toutefois que son usage ne retarde ou ne freine en rien l'apprentissage de la langue orale. Elle conserve néanmoins tout son intérêt dans deux circonstances heureusement rares:

Je n'ai pas qualité pour critiquer la valeur linguistique de la langue des signes. Je me hasarderais d'autant moins à le faire, que j'ai toujours pensé, jusqu'à l'arrivée de l'implant cochléaire, qu'il s'agissait là d'un substitut à la communication orale bien précieux, tant que celle-ci était impossible.

Mais l'expérience que j'en ai eue m'a montré la lenteur extrême du transfert des informations grâce à la langue des signes, au regard de ce qu'apporte le langage parlé.

Le message contenu dans une phrase prononcée, demande environ deux fois de temps pour être exprimé en langage signé. Ce faible débit diminue sûrement l'intérêt linguistique de ce code ésotérique.

A mon sens, son avenir aujourd'hui repose, certes sur les bénéfices qu'en tireront les quelques sourds profonds qui n'auront pas pu être implantés, mais surtout sur l'intérêt que lui portent les bien-entendants, avides de curiosités linguistiques et philosophiques.



5.La Recherche et la surdité

La recherche est l'arme du futur pour vaincre la surdité.

Il existe plusieurs types de recherches médicales:

La recherche fondamentale et la surdité

La recherche fondamentale est celle qui est pratiquée par un savant, ou plus exactement de nos jours, une équipe de savants.

Ils travaillent dans des laboratoires très sophistiqués, mais ils sont sans contact personnel avec le patient. J'entends par là que le patient ne vient pas les voir pour leur demander secours.

L'objectif de ces chercheurs est de comprendre les mécanismes qui régissent les fonctionnements normaux ou anormaux de l'organisme. Un certain nombre d'entre eux ne sont d'ailleurs pas guidés par un objectif médical immédiat. Leur recherche paraît souvent éloignée du concret, sans intérêt immédiat, et leur motivation s'apparente à de la curiosité désintéressée.

Mais, tôt ou tard, ce type de travail finit toujours par avoir une retombée pratique, généralement insoupçonnée au début de l'entreprise.

La surdité et la recherche appliquée

La recherche appliquée est celle du médecin de terrain, du clinicien dont les efforts thérapeutiques butent sur un problème particulier.

Alors, il réfléchit, il imagine, il invente, il bricole un système, il l'essaye sur l'animal, et souvent cela marche. Puis, il l'essaye sur l'homme.

Bien sûr, ces essais cliniques sont de nos jours très strictement contrôlés par des Comités d'Éthique, qui veillent bien en particulier à ce que soit assurés l'information et le "consentement éclairé" du patient à propos de ces essais. Ces Comités d'Éthique n'existent que depuis quelques années. Ils sont devenus indispensables, étant donné l'énorme efficacité des moyens que l'on peut mettre en jeu, et les risques évidents qu'ils feraient courir, s'ils étaient mis en oeuvre sans discernement.

La recherche opportuniste et la surdité

La recherche opportuniste étudie les applications possibles d'un appareillage nouveau, dès que celui-ci est disponible. Elle l'utilise pour reconsidérer sous un autre angle un phénomène déjà connu.

Ce type de recherche demande moins d'imagination, mais il fait appel aux facultés d'observation.

Assez souvent, grâce à cette méthodologie, on arrive en effet à découvrir des phénomènes nouveaux totalement inattendus, dont l'interprétation peut conduire à des conclusions fructueuses.

La recherche vérificatrice

La recherche vérificatrice apparaît un peu moins exaltante, mais elle est indispensable.

Elle consiste à vérifier une nouveauté qui vient d'être publiée, en répétant les modalités de sa découverte.

Le meilleur exemple est constitué par les travaux de vérification, qui ont contribué à alimenter la polémique née à propos de la découverte concernant la mémoire de l'eau.

La recherche pour comprendre

Et puis enfin, la recherche pour comprendre, est celle qui naît d'une découverte plus ou moins fortuite. Elle se propose alors de saisir l'intimité des processus que celle-ci met en cause.

Alors, on commence par bâtir des hypothèses, pour essayer de débusquer le mécanisme du phénomène observé. Et puis, expérimentalement, on vérifie le bien fondé de ces hypothèses par des expériences envisageant celles-ci sous différents angles, jusqu'à parvenir à une explication cohérente, qui sera la vérité dans ce domaine, pendant quelques mois ou quelques années.

C'est résolument dans la recherche appliquée que se situe le champ d'action du Laboratoire de Saint-Antoine.

Ce n'est pas notre métier. Mais c'est une nécessité destinée à satisfaire le besoin de répondre à une urgence. Quels que furent les objets de nos travaux, qui se sont exercés dans plusieurs domaines de l'Oto-Rhino-Laryngologie, nous nous sommes toujours sentis tenaillés par la nécessité de réussir, la hâte de trouver rapidement.

Et c'est en matière de surdité que cette urgence nous a taraudés le plus souvent.

6-Les Prothèses auditives

7-L'Implant Cochléaire


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